Is this the real life ? Is this just fantasy ? [PV Antarès de Beauséant]

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Is this the real life ?
Is this just fantasy ?

Levy passa la sangle de sa guitare acoustique à son épaule et se percha sur le bord d'une fontaine comme un grand oiseau prêt à s'envoler. Elle portait une veste en cuir coupée comme une veste d'homme, un slim noir tout simple, des mitaines grises et une paire Doc Martens passablement usées. Autour du cou, une écharpe légère, noire rayée de taupe foncé. La jeune fille glissa derrière son oreille une mèche de cheveux qui lui tombait devant les yeux et plaça ses longs doigts fins sur les cordes. Aussitôt, elle sentit l'émotion qui la saisissait à chaque fois qu'elle jouait l'envahir. Un mélange de plaisir, de sérénité et d'exaltation. La liberté. Elle prit une profonde inspiration et commença à gratter. Après les premiers accords, elle s'accompagna au chant. Sa voix était jolie sans être extraordinaire, simple et grave, avec un petit quelque chose qui la rendait agréable à entendre. Ses doigts courraient avec habileté sur les fils, semblant les effleurer à peine. Des passants s'arrêtèrent pour l'écouter. Elle ferma les yeux un instant, ses doigts trouvant instinctivement les cordes. Ses longs cils noirs projetaient des ombres mouvantes sur ses joues. Oubliant tout le reste, elle se concentra sur la texture des cordes sous ses doigts, la caisse qu'elle sentait vibrer contre elle et le son qui lui emplissait les oreilles. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres. Au bout d'un moment, une petite foule de curieux se rassembla autour d'elle. Quelques pièces tintèrent en heurtant le fond de la house noire aux pieds de Levy. A la fin du morceau, elle battit lentement des paupières, comme sortie d'une transe ou d'un profond sommeil. Ses spectateurs l'applaudirent avec un certain enthousiasme avant de se disperser rapidement, se fondant à nouveau dans la masse. Légèrement essoufflée, Levy posa sa guitare contre le rebord de pierre à côté d'elle et leva les mains à la hauteur de son visage. Elle souffla sur ses doigts pour les réchauffer. La surface gercée de ses lèvres s'accrocha à la laine de ses mitaines. Son souffle produisait un petit nuage de vapeur dans l'air frais. Un ciel gris et pourtant lumineux la surplombait et le soleil timide de l'après-midi faisait scintiller la givre sur les pavés de la grande place.

Ah, aujourd'hui, il ne neigeait pas trop. C'était du moins ce qu'avait remarqué Antarès en pointant le bout de son nez en dehors de la porte de l'internat, ce matin, avant de partir en cours. Et apparemment, cette esquisse de beau temps avait duré toute la journée, ou dans tous les cas, jusqu'à l'après-midi, où n'ayant pas cours, il en profiterait pour faire un tour en ville. Cela faisait assez longtemps qu'il ne s'y était pas promené pour dessiner des visages inconnus, alors il prit avec lui sa sempiternelle pochette à dessins format raisin qui le caractérisait tant - il pouvait l'amener n'importe où, même s'il n'avait pas l'intention spéciale de dessiner, de toutes façons. Avant de partir jusqu'en centre ville, l'endroit où il passait le plus clair de son temps quand il avait envie d'aller se promener, il enfila son manteau et positionna soigneusement son écharpe à roses noires autour de son cou. Il adorait ce manteau, tout simplement parce qu'il ne se sentait pas engoncé à l'intérieur, et qu'il était libre de ses mouvements. Bon, à vrai dire, il n'avait pas tendance à beaucoup bouger, mais ça l'empêchait surtout d'effectuer des déplacements précis de ses bras. Et donc, par conséquent, un manteau autre que celui-ci le gênait beaucoup.

Après avoir traversé les différentes ruelles qu'il empruntait habituellement parce qu'il les trouvait plutôt charmantes et qu'il aimait l'ambiance qu'elles dégageaient, Antarès déboula enfin sur la place centrale, où il pouvait entendre une légère mélodie derrière un tout petit attroupement de personnes, venues sans doute écouter le musicien. Ou bien la musicienne. C'était plutôt difficile de savoir, ne voyant pas la personne en question, et n'entendant pas tout à fait sa voix (si il y avait de la voix, ça aussi était dur à déterminer). Il se rapprocha un petit peu du groupe sans pour autant être assez près pour en faire partie, et s'assit un peu plus loin, pouvant maintenant voir un peu mieux la scène qui se déroulait. Puis il sortit enfin une feuille, qu'il étala sur sa pochette pour avoir une espèce de support, et prit l'un de ses crayons de sa poche, pour commencer une espèce d'esquisse.

Peu de temps plus tard, les personnes s'étaient dissipées, et Antarès pouvait mieux apercevoir celle (oui, maintenant c'était plutôt sûr) qui jouait encore de son instrument quelques minutes auparavant. C'était assez amusant de la voir, d'ailleurs : avec ses cheveux courts et ses vêtements plutôt mixtes, on pouvait facilement la prendre pour un garçon de dos. En gros, elle était un peu l'opposé de lui. Cette pensée le fit sourire discrètement, alors qu'il restait dans son coin à observer.

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Levy se pencha en avant et entreprit de ramasser les pièces laissées par les passants. Issue d'une famille modeste, la bourse offerte par l'établissement lui suffisait pour financer ses études, mais pas pour ses dépenses personnelles, et elle était trop débrouillarde et indépendante pour compter sur le portefeuille de ses parents. Il n'était donc pas rare qu'elle fasse des petits boulots pendant son temps libre, et jouer dans le rue était un bon moyen de se faire un peu d'argent de poche tout en se divertissant. Elle glissa la monnaie dans une poche de sa veste. Il y avait à peine de quoi se payer une bière. Elle nota avec une certaine ironie à quel point la générosité des gens variait en fonction de la météo. La place était beaucoup moins bondée qu'à l'ordinaire et les gens la traversaient d'un pas pressé, emmitouflés jusqu'au cou dans leurs manteaux, gants et écharpes, n'ayant pas très envie de s'attarder dehors, dans le froid. Réussir à les retenir plus de quelques minutes relevait presque du miracle. Levy, au contraire, n'était pas impatiente de rejoindre le confort et la chaleur de sa chambre. Ne supportant pas de rester enfermée toute la journée, elle s'y sentait à l'étroit et oppressée, comme un lion dans une cage trop petite. Sans parler de l'ennui. Au moins, à l'extérieur, elle pouvait observer des paysages et des individus différents de ceux qu'elle avait l'habitude de croiser à l'académie. Elle fit une pause sur le bord de la fontaine et passa la main dans ses cheveux courts pour les ébouriffer, ce qui lui donna l'air de quelqu'un qui vient de se réveiller. Même sa façon de s'asseoir était masculine, les jambes écartées et le dos arrondi, l'allure désinvolte. Son regard se promena autour d'elle pour se poser sur le garçon solitaire assis un peu plus loin. Au début, elle le prit pour une fille. Ses traits fins et ses longs cheveux roux lui évoquaient un tableau de Botticelli. A part elle-même, c'était la seule personne qui n'était pas en mouvement. Enfin, il n'était pas tout à fait immobile non plus. Il semblait griffonner quelque chose sur une feuille de papier. A en juger par sa pochette à dessin, c'était sûrement un étudiant appartenant à la Maison Baroque. Au bout d'un moment, il leva les yeux vers elle, et Levy comprit qu'il l'observait également. Poussée par la curiosité, elle rangea soigneusement la guitare dans son étui et la balança sur son épaule, la sangle passée en bandoulière. Les mains enfoncées dans les poches, elle s'avança jusqu'au jeune homme puis se pencha vers lui, une main posée le genou, l'autre retenant la sangle de sa housse de guitare sur son épaule. Lui désignant son dessin, elle sourit jusqu'aux oreilles.

« Je peux regarder ? »

Pouvant voir chaque mouvement qui caractérisait la jeune femme qu'il esquissait, Antarès prenait un malin plaisir à produire plusieurs croquis. Tout dans sa gestuelle semblait évoquer la masculinité, de la façon dont elle arrangeait ses cheveux jusqu'à la manière dont elle s'asseyait, le dos voûté en avant, et les bras appuyé sur les jambes écartées. Il avait eu du mal à apercevoir son visage distinctement, elle était trop loin, mais il se doutait qu'il s'agissait peut-être de la seule partie de son corps qui ne soit pas exactement semblable à celle d'un homme. Mais c'était ce qu'il supposait, peut-être que même ses traits se prêtaient au jeu. Dans tous les cas, il avait eu le temps de dessiner hâtivement plusieurs de ses postures, avant de la remarquer s'approcher de lui, les mains dans les poches (et il put aussi se rendre compte du fait qu'effectivement, elle était plus androgyne que masculine).

Apparemment, elle l'avait remarqué l'observer dans tous les détails, enfin, il en avait l'impression. Et elle avait envie de voir ce qu'il dessinait, exactement, chose à laquelle il ne s'opposait pas réellement, bien au contraire. C'était juste son éventuelle réaction qui pouvait le mettre en froid. De nombreuses fois il s'était surpris à croquer diverses personnes dans la rue ou dans l'Académie, et de nombreuses fois également ces mêmes personnes en voyant leur portrait trouvaient une bonne trentaine de remarques à faire, et exprimaient le besoin de lui dire qu'il fallait qu'il arrête de dessiner n'importe quoi. Bah, de toutes façons, c'était elle qui demandait, alors il lui adressa un léger sourire, très discret, derrière les cheveux qui tombaient un peu plus que d'habitude sur son visage.

"Bien sûr. "

Antarès lui tendit sa feuille, et se prépara au peut-être impact.

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Le garçon sembla hésiter l'espace d'un instant, à peine une fraction de seconde. Peut-être avait-il peur de sa réaction. Mais il lui tendit la feuille avec un petit sourire timide. Elle la prit avec délicatesse, comme on manipule un objet rare et précieux. Maintenant qu'elle était aussi proche de lui, elle pouvait voir plus nettement les traits de son visage et l'observa du coin de l'oeil. Il était aussi féminin qu'elle semblait masculine. Il possédait une beauté rare, dégageant une aura de noblesse et de douceur. Ses cheveux lui tombaient avec élégance devant les yeux comme un rideau soyeux et elle dû résister à l'envie de les toucher du bout des doigts pour sentir leur texture. Tout en lui respirait le calme, depuis son regard doré jusqu'à sa posture, presque aussi immobile qu'une statue. Elle pensa aux sculptures grecques antiques représentant des adonis à la fois gracieux et majestueux. Souriant pour elle-même, elle détourna le regard et reporta son attention sur le dessin. Ou plutôt les dessins. Il avait fait plusieurs croquis d'elle, quand elle était assise sur le bord de la fontaine. D'un joli trait de crayon, précis et délicat, il avait reproduit à la perfection ses mimiques et les postures de son corps. Une autre fille aurait sans doute été vexée de se voir représenter de façon aussi peu féminine. Pas Levy. Ses allures de garçon manqué faisaient partie d'elle. Le nier serait comme nier sa propre personnalité et se faire passer pour quelqu'un qu'elle n'était pas. Elle contempla un long moment les esquisses avant de lui rendre la feuille, un léger sourire aux lèvres.

« Tu as du talent », dit-elle simplement.

Son intention n'était pas de le flatter. Levy faisait rarement des compliments, à part quand ils étaient vraiment sincères. Elle était d'un esprit plutôt critique et n'hésitait pas à exprimer ses opinions, mais dans ce cas précis elle ne trouvait rien à redire. Il avait réussit à la cerner avec beaucoup de justesse, et elle l'admirait pour ça. L'androgyne posa sa guitare sur le sol, s'assit à côté du jeune homme et l'encouragea d'un signe de tête.

« Continue. »

La jeune fille prit sa feuille en faisant apparemment bien attention à ne pas l'abîmer, et peu après, Antarès se sentit observé durant un court instant, ou plus précisément détaillé dans une sorte de contemplation. Ca ne lui déplaisait pas, ni le flattait, à vrai dire il était assez indifférent à ce genre de choses. Tant que ce n'était pas par beaucoup de personnes simultanément, cela ne le dérangeait absolument pas, lui qui très souvent était le premier à répondre présent quand on cherchait un modèle pour un croquis, une peinture, ou n'importe quoi d'autre. Il se contenta de lui adresser toujours le même sourire peu précis, qu'il adressait à, en fait, à peu près chaque personne qu'il pouvait croiser et avec qui il était susceptible de sympathiser. Puis, la jeune androgyne détourna les yeux pour les poser sur sa série de croquis, et les admirer, au vu de sa remarque positive. Elle ne prenait pas mal le fait qu'on la dessine à l'improviste. Tant mieux.

"Tu as surtout un physique accrocheur", répliqua-t-il en reprenant son papier et le reposant sur sa pochette, en essayant de le caler de façon à ce qu'il ne s'envole pas s'il y avait par hasard un léger coup de vent. Naturellement, Antarès pensait totalement ce qu'il disait - pourquoi aurait-il alors ressenti l'envie de la dessiner si elle absolument quelconque, bien qu'il n'était pas contre dessiner des gens à priori "normaux", et bien que sa notion de la "normalité" était bien vague ? Elle était le genre de personne qui inspiraient, du moins c'était ce que son apparence physique criait. Il se poussa légèrement pour lui laisser un peu plus de place pour s'asseoir. Ah, elle lui demandait de continuer, eh bien, il n'allait pas se faire prier.

Il plissa légèrement les yeux, signe de concentration, pendant qu'il détaillait son visage. Maintenant qu'elle était juste à côté de lui, il serait plus à même de faire un portrait d'elle. Il mémorisa à peu près les caractères généraux de son visage avant de reprendre son crayon et le positionner dans un coin vide de la feuille, et de commencer à tracer les traits principaux, ainsi que les deux ou trois lignes qui le guideraient éventuellement s'il avait du mal ou si elle bougeait un peu plus que prévu. Bien sûr, il n'allait pas spécialement lui demander de rester parfaitement immobile, ça restait improvisé. Jetant de rapides coups d'oeil de son côté, il avançait son dessin tranquillement, à son rythme. Elle avait des traits plutôt définis, fins et droits, et surtout harmonieux, aussi il était plutôt simple de se repérer dans son visage.

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« Tu as surtout un physique accrocheur. »

Levy haussa les épaules. Elle était consciente d'avoir un style plutôt atypique. Il n'était pas rare que des gens se retournent sur elle dans la rue, intrigués par ses vêtements et sa démarche particulière. Les avis étaient plutôt partagés à son sujet. Il y avait ceux qui jugeaient qu'une fille devrait être plus féminine, et ceux qui aimaient son originalité. Mais elle ne laissait personne indifférent. "Un physique accrocheur", c'était exactement ça. Pourtant, Levy n'avait pas choisit de s'habiller de cette façon pour provoquer ou se faire remarquer, mais simplement parce qu'elle s'y sentait à l'aise. Elle remercia le jeune homme d'un nouveau sourire. Elle essaya de trouver une position confortable, les mains jointes entre les jambes et les coudes posés sur les genoux, et tâcha de rester parfaitement immobile pour lui simplifier le travail. Elle avait l'habitude de servir de modèle. Elle se revit poser pendant des heures sur un tabouret pendant que son père la dessinait. A chaque fois, la fille sur le papier lui ressemblait, mais Levy ne se reconnaissait pas. Peut-être parce qu'il la représentait telle qu'il la voyait, en tant que sa fille, et non telle qu'elle était réellement. Il n'arrivait jamais à capter son expression faciale. En fait, son regard était si particulier qu'il avait posé problème à presque tous les artistes qui avaient tenté de faire son portrait. Le jeune androgyne allait-il réussir ? Elle lui jeta un coup d'oeil, sans bouger la tête. Il semblait très concentré, une petite ride entre les sourcils. Elle détourna le regard pour ne pas le déranger, fixant d'un air pensif la place principale qui s'étendait devant eux, et patienta.

Elle restait plutôt calme et ne bougeait pas trop, sûrement pour lui simplifier la tâche, comme elle l'avait vu se remettre à dessiner. Et Antarès lui en était très reconnaissant : il ne se voyait pas trop s'arrêter toutes les trente secondes et effacer un trait parce que son modèle avait complètement changé de position. Ca pouvait lui arriver, bien sûr, mais c'était plus fatiguant qu'autre chose, à vrai dire, et c'était toujours moins frustrant de faire le portrait de quelqu'un qui ne tournait pas la tête de l'autre côté constamment. Bon, peut-être que d'un côté, c'était juste qu'elle n'avait pas vraiment la bougeotte, mais il pouvait toujours s'amuser à penser ce qu'il voulait, à savoir qu'elle ne remuait pas trop histoire de lui rendre la tâche plus facile. Enfin, trêve de bavardages, dans tous les cas, que ce soit voulu ou non, elle lui rendait un peu service.

Maintenant qu'il avait tracé les plus grandes lignes, Antarès était passé à un dessin un peu plus détaillé, avec la forme précise du visage, de son nez, une vague esquisse de ses lèvres et de son regard (parties de la figure les plus "mobiles", à vrai dire, qu'il perfectionnerait en dernier). Il s'occupait plutôt de ses cheveux, qui étaient plutôt court mais qui ne tombaient pas réellement sur son visage, vu qu'elle passait ceux qui étaient susceptibles de le faire derrière ses oreilles. Mais justement, plutôt rapidement, ses yeux captèrent son attention. C'était un regard très particulier et plutôt difficile à définir, parce qu'on avait du mal à déterminer en examinant son regard ce qu'elle pouvait penser. Mais il y viendrait un peu plus tard, quand il aurait dessiné un peu tout le reste, histoire de garder un peu le meilleur pour la fin.

Il n'avait jamais pensé que ce serait chose facile de dessiner ses yeux, bien au contraire. Même si elle ne le regardait pas spécialement, et qu'elle paraissait perdue dans ses pensées, son regard était tout aussi dur à cerner. Antarès allait très sûrement devoir s'y reprendre à plusieurs fois avant de réussir à capter leur essence, mais il ne s'arrêterait pas avant d'avoir réussi, et il n'allait absolument pas baisser les bras devant une difficulté telle que celle-ci. Bon, faisons maintenant l'inventaire de toutes les solutions possibles : soit il essayait de deviner toute sa vie, tout son caractère, jusqu'au moindre recoin de son existence qui aurait pu faire d'elle ce qu'elle était actuellement, ce qui était quelque chose d'intéressant mais certes très long et très fastidieux, soit il faisait abstraction de tout, absolument tout, et dessinait ce qu'il avait devant lui tel que c'était, en faisant une pure restitution. Il décida que s'il choisissait de faire ça, ça serait en dernier recours. En attendant, il allait commencer sa petite recherche sur elle, c'était beaucoup plus amusant.

Antarès posa son crayon et se mit à l'observer dans ses moindres détails, comme on se concentrait sur un Rubik's cube pour déterminer quel mouvement serait le plus logique.

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Levy contemplait les décorations installées dans les rues pour noël. Les guirlandes lumineuses accrochées aux arbres et bordant les toits des bâtiments, éteintes pour le moment, les néons en forme de sapins, d'étoiles et de flocons et l'immense sapin qui trônait au centre de la place. Elle avait hâte de la voir le soir, baignée de lumières rouges et dorées. Elle n'avait pas encore eu l'occasion de rester assez tard pour pouvoir admirer le spectacle. Elle avait toujours été fascinée par les lumières des villes.

Elle se sentit soudain observée. Rien de plus normal, quand on sert de modèle à quelqu'un. Mais le regard que le dessinateur braquait sur elle avait soudainement changé. Il était plus scrutateur qu'auparavant, comme un scientifique observerait un sujet d'expérience en tentant de comprendre et d'analyser son comportement. Du coin de l'oeil, elle le vit remuer et se redresser. Incapable de retenir sa curiosité plus longtemps, elle tourna la tête dans sa direction. Il avait arrêté de dessiner et l'observait à présent avec la plus grande attention, aussi immobile qu'une statue, à part ses yeux. Il la survolait du regard, comme s'il pouvait voir au-delà de son apparence et cerner sa véritable nature. Elle avait l'impression d'être mise à nue, totalement offerte à l'examen du rouquin. Ce n'était pas vraiment désagréable, quoiqu'un peu embarrassant. Elle lui lança un regard interrogatif.

« Un problème ? »

"Non. "

Non, il n'y avait pas de problème. Mais cette simple question de deux petits mots lui donnait déjà quelques éléments de réponse quand à son caractère. Déjà, rien que par la formulation de la phrase et l'air interrogatif qu'elle prenait, on pouvait éventuellement deviner qu'elle était sur la défensive. Ca lui rappelait un peu le genre de personnes qu'il avait croisées parfois dans la rue, il ne les regardait pas forcément eux en particulier, mais ils le prenaient quand même mal, comme si le fait de poser ses yeux sur eux était équivalent à une insulte. Bien évidemment, la jeune fille n'avait pas réagi de cette façon (et heureusement, sinon ils ne seraient pas allés bien loin), mais peut-être qu'au fond, il y avait un peu de ça. Peut-être que même si son physique attirait les regards, se faire scruter pendant un petit moment la gênait. Et on pouvait en déduire que probablement, même si elle avait l'air très confiante au premier abord, ça n'était pas tout à fait le cas, quand on cherchait bien. Evidemment, ça n'était qu'une hypothèse, et Antarès se gardait bien d'y croire fermement.

Ca faisait déjà un détail qu'il pouvait ajouter à sa liste de "peut-êtres". Maintenant il fallait qu'il observe encore un peu plus ce qu'elle pourrait éventuellement lui dire, sa gestuelle, et sa façon d'être. L'observation, toujours l'observation, après tout, cela ne devait-il pas être l'une des principales qualités d'un dessinateur ? Il voulait comprendre ce qu'il y avait de si spécial dans son regard, et pour cela, il fallait qu'il devine exactement ce qu'elle était. Il avait déjà joué à ce petit jeu avec Nathanaël qui était si énigmatique (bon je vous l'accorde, il n'avait pas utilisé les mêmes méthodes), alors ça ne le dérangeait pas de recommencer avec elle. Pour l'instant, il trouvait qu'il s'en sortait plutôt bien, dans ses suppositions.

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« Non. »

Pourtant, il continuait de l'observer, imperturbable. L'examinant sur toutes les coutures, s'attardant sur son visage, croisant son regard. Elle commençait à se demander si une analyse aussi poussée du modèle était nécessaire pour un simple croquis. Sa façon de procéder était assez inhabituelle, pour autant qu'elle pouvait en juger. Elle ne s'y connaissait pas beaucoup, mais ça ne ressemblait pas aux méthodes des autres, qui se contentaient de reproduire ce qu'ils voyaient, sans chercher plus loin. D'autant plus que le jeune homme semblait s'être complètement désintéressé de sa feuille, toujours posée sur ses genoux, et ne touchait même plus à son crayon. Que cherchait-il à faire ? Elle le dévisagea à son tour, en essayant de deviner ce qu'il se passait dans sa tête. Son regard était indéchiffrable, mais son expression avait légèrement changé. Quelque chose d'à peine perceptible, qu'elle identifia comme un air satisfait. Comme s'il avait obtenu une partie de ce qu'il voulait et qu'il attendait la suite. Qu'avait-elle fait pour provoquer cette réaction chez lui ? Elle n'avait fait que lui poster une simple question, qu'elle avait laissée échapper sans réfléchir, spontanément.
Spontanément.
Chacune de ses réactions laissait apparaître petit à petit sa personnalité. Peut-être que c'est ce qu'il essayait de faire. L'observer pour mieux la comprendre. Sûrement pour améliorer son dessin, le rendre plus vivant, plus réaliste, ou elle ne savait quoi. Elle ne voyait pas de meilleure explication, en tout cas. Un sourire malicieux étira ses lèvres. Il voulait jouer à ça ? Il allait être servit. Elle était très douée, à ce petit jeu. Elle se rapprocha du jeune homme, jusqu'à le frôler. Puis elle se pencha vers lui, stoppant son visage à seulement quelques millimètres du sien.

« On ne t'a jamais dit que c'est impoli de dévisager les inconnus ? »

La jeune fille avait toujours ce même air interrogateur dans son regard, et apparemment, elle essayait de comprendre pourquoi Antarès prenait un si soudain intérêt à la dévisager ainsi. Ses yeux se posaient sur son dessin, puis ses mains, puis revenaient sur le visage d'Anti, avec insistance. Donc, elle était persistante, c'était ce qu'on pouvait comprendre en tout cas. Puis son regard prit une toute autre couleur, comme si elle avait compris ce qu'il cherchait. Et apparemment, elle avait bien compris, quand on voyait le sourire qui s'était maintenant fixé sur ses lèvres. Ah, ça y est, elle avait une idée derrière la tête, et on pouvait comprendre qu'elle allait lui rendre la tâche un tout petit peu plus ardue. Elle était joueuse. Et hop, maintenant, il avait deviné trois éléments de sa personnalité, du moins trois suppositions, qui restaient à être confirmées.

Si elle pensait le déstabiliser en se rapprochant de lui de cette façon, alors elle se trompait : Antarès était une personne assez tactile, qui n'avait pas vraiment peur du contact physique (et ça il me semble que je l'ai déjà assez bien démontré auparavant, hoho). Bon, il était vrai que faire ce genre de choses avec une fille changeait de ses habitudes, et il lui faudrait un petit temps d'adaptation, mais celui-ci n’excéderait sûrement pas une à deux minutes. Et ce n'était sûrement pas parce qu'elle était elle aussi assez androgyne (et que par conséquent on pouvait facilement la confondre avec un garçon), qu'automatiquement, il se sentirait plutôt attiré par elle. D'ailleurs, même si elle était un garçon, quand on y réfléchissait, vu qu'il n'allait pas spécialement sauter sur n'importe quel homme qui se pointait à sa porte. Non, il ferait en sorte de rester calme et impassible.

"Et toi, tu as de très jolis yeux. " Et parce qu'il n'aimait pas faire les choses à moitié, il avait parlé avec la voix la plus féminine qu'il pouvait produire.

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« Et toi, tu as de très jolis yeux. »'

Levy éclata de rire, sans pour autant reculer. Ils étaient si proches qu'ils respiraient le même air. Leurs nez se touchaient presque et le souffle de son interlocuteur lui caressait le visage quand il parlait. Elle ne s'était pas attendue à cette réaction et encore moins à la voix féminine qu'il avait prise, imitée à la perfection. Ca lui donnait envie de tester ses réactions, de le pousser à bout pour voir jusqu'à quel point il pourrait la surprendre. Apparemment, il jouait son jeu mais n'avait pas l'intention de se laisser piéger. Elle aussi le dévisageait, en oubliant également ce passage de son éducation. Ses bonnes manières laissaient légèrement à désirer, mais ça n'avait pas l'air de le déranger. Il avait peu d'expressions faciales, ce qui rendait ses pensées difficiles à décoder mais elle avait déjà eu un aperçu de son air distant et pensif, son sourire discret, sa profonde concentration lorsqu'il dessinait. Il n'avait pas l'air d'être gêné le moins du monde par leur proximité, contrairement à ce qu'elle avait espéré. Elle en fut un peu déçue, mais pas découragée. Même plutôt excitée. Ce type était un véritable défi. Et elle aimait les défis. Elle approcha sa bouche de son oreille :

« Si tu veux que je pose à poil, il suffit de demander. Mais tu devras faire vite, avant qu'on ne vienne m'embarquer pour attentat à la pudeur. »

Levy non plus n'aimait pas faire les choses à moitié. Puisque sa première tentative d'intimidation avait échouée, autant aller jusqu'au bout dans la provocation. Avec un peu de chance, elle réussirait à le faire sortir de ses gonds, le rendre mal à l'aise, ou au moins le faire réagir. Sans prévenir, elle franchit l'infime espace qui les séparait encore et posa ses lèvres sur les siennes.

La réponse d'Antarès n'eut pas l'air de la faire reculer, bien au contraire. Elle avait l'air confiante et sûre de ce qu'elle faisait, tellement d'ailleurs qu'elle ne retint même pas un éclat de rire à sa dernière réplique. Elle avait de l'humour et du tempérament, apparemment, ou dans tous les cas elle en rayonnait. Et d'ailleurs, difficile maintenant de croire qu'elle avait tout à fait la langue dans sa poche, au vu de ses paroles très bien envoyées. Elle avait donc de la répartie, beaucoup de répartie. Ou bien elle avait eu un coup de chance sur ce moment pour lui sortir pile la bonne phrase, mais c'était plutôt dur à imaginer. Bon, maintenant il fallait qu'il lui formule une autre réponse, en rebondissant savamment sur ce qu'elle avait bien pu lui raconter, et... Mais qu'est-ce qu'elle foutait, au juste ?

Ah, si Antarès continuait à faire connaissance avec chaque personne qu'il rencontrait en les embrassant, il aurait un bon paquet de baisers à distribuer. Sauf que cette fois-ci, c'était lui qui était "victime", contrairement à ce qu'il s'était passé avec Nathanaël dans la salle de bains, et il devait avouer qu'il n'avait pas spécialement pensé qu'elle irait jusque-là aussi tôt dans la discussion, si on pouvait appeler cela une discussion, naturellement. Toujours était-il qu'outre la surprise, et même s'il était tout à fait ouvert d'esprit à la base, il y avait tout de même un petit détail qui titillait une partie de son cerveau, celle qui s'occupait de la gêne et de l'embarras d'ailleurs : c'était la première fois qu'il embrassait une fille. Ou qu'il se faisait embrasser d'ailleurs, mais c'était à peu près la même idée, et ça lui faisait quand même un drôle d'effet, derrière son air impassible. Air qui, pour une fois, était légèrement perturbé, finalement. Ou alors c'était le fait qu'il n'était pas totalement maître de la situation qui le dérangeait le plus ? C'était difficile à dire.

Bon, il n'allait pas s'énerver pour ça, il en fallait un petit peu plus tout de même. Il s'était dit qu'il ne céderait pas de sitôt, et Antarès tenait ses objectifs, aussi absurdes étaient-ils au premier abord. Elle avait quand même réussi à l'ébranler, elle pouvait être fière d'elle, elle ne repartirait pas bredouille (et lui non plus d'ailleurs, il en avait malgré tout appris un peu plus sur elle). Il prit une dernière inspiration et la repoussa doucement après quelques secondes, parce que tout de même.

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« Gagné. »

Lorsqu'il la repoussa, Levy se redressa, un petit sourire satisfait aux lèvres. Enfin, elle avait réussit à briser son masque impassible, ce qu'elle considérait comme une victoire personnelle. Bien qu'il faisait visiblement des efforts pour prendre un air dégagé, il semblait légèrement perturbé et surprit par son geste.

« Tu es mignon quand tu es gêné. »

Le taquina-t-elle. Elle s'écarta enfin du jeune homme. Reprenant sa place initiale, elle se laissa aller contre le dossier du banc, les bras croisés derrière la tête avec l'air le plus tranquille et naturel au monde. Comme si rien ne s'était passé de plus qu'une simple conversation polie et parfaitement ordinaire, ou qu'elle avait l'habitude d'embrasser de parfaits inconnus en pleine bouche sans raison. A croire qu'elle faisait ça tous les jours. Elle jeta un coup d'oeil à la feuille toujours fixée à la pochette, où il avait déjà dessiné la plus grosse partie de son visage. Ses cheveux, son nez, sa bouche, ses yeux. Elle nota que ces derniers étaient beaucoup moins détaillés que le reste et qu'il s'était contenté d'en tracer les contours. Visiblement, il s'était arrêté au beau milieu de son esquisse pour se mettre à l'observer de plus près.

« Tu faisais ça pourquoi, au fait ? C'est une de tes supers-techniques de dessinateur ? »

Même si elle s'était fait sa petite idée sur la question, elle était curieuse de connaître sa vision des choses.

"Ne crois pas que je me laisserai avoir une deuxième fois. "

C'était dingue, elle arrivait à rester aussi détendue, comme si c'était une situation habituelle chez elle. Bon... A vrai dire, peut-être qu'il avait pu donner cette impression à Nate la première fois, parce qu'il l'avait un peu cherché en utilisant les mêmes techniques, et qu'il était redevenu tout à fait normal après. Quoi qu'en y repensant, ce n'était pas à ce moment qu'il l'avait embrassé, il n'était peut-être pas allé aussi loin que ce qu'elle venait de faire. Mais même si elle avait l'air si à l'aise, Antarès considérait qu'elle avait gagné une bataille mais sûrement pas la guerre, et qu'il trouverait un moyen de la déstabiliser elle aussi. Elle allait voir ce qu'elle allait voir, la boug... Euh... Elle allait voir ce qu'elle allait voir, il fallait juste qu'il trouve un moyen de la faire, elle aussi, sortir de ses gonds.

Mais la voilà déjà partie sur un autre sujet, et alors qu'elle scrutait son croquis toujours aussi inachevé qu'auparavant (qu'il avait pour l'instant laissé en suspens de toutes façons), elle le questionnait sur sa technique, plus précisément pourquoi il s'était mis à la dévisager de cette façon en plein milieu de son dessin. Bah, à vrai dire c'était plutôt simple, il était persuadé qu'il n'arriverait jamais à retranscrire son regard correctement s'il n'avait pas encore compris sa façon d'être dans les moindres détails, alors tout naturellement, il s'était mis à vouloir la connaître un peu mieux. Mais comme il n'était pas une personne très bavarde, il ne lui avait pas posé de question en particulier comme n'importe qui l'aurait fait pour engager la conversation, il l'avait juste observée dans ses moindres mouvements.

"Pour comprendre pourquoi tu as un regard si particulier", lui répondit-il avec son sourire et sa voix calme, qui étaient revenus finalement.