Sac sur le dos, skateboard en main, Sacha déambulait dans la ville sans savoir où aller. Elle savait ce qu'elle voulait, mais elle n'avait pas vraiment idée d'où cela pouvait bien se trouver. Elle cherchait l'endroit parfait pour commettre son méfait, alors elle tournait sans cesse au coin des rues, frénétiquement, observant ce qui l'entourait dans l'espoir de trouver l'objet de ses désirs. Qu'avait-elle en tête ? Une immensité de choses, à vrai dire. C'était le fouillis total, elle tentait de classer ses pensées. Trop d'informations en même temps avaient tendance à la déstabiliser et lui bousiller le cerveau. Elle se déconcentrait alors de son objectif principal, vagabondant partout et nulle part à la fois, perdue dans sa propre tête. C'était un peu ce qui était en train de se passer à ce moment là. Elle savait qu'il fallait marcher, poser un pas devant l'autre, inlassablement, mais elle oubliait parfois ce pourquoi elle était sortie ce soir. Il faisait sombre et frais. L'hiver était passé, le printemps lui volait la place, mais les nuits étaient encore assez froides, notamment lorsque le vent soufflait. Ce n'était pas le cas cette nuit, mais les chaudes nuits d'été manquaient à la jeune femme. Elle n'aimait pas l'hiver, il fallait se protéger du froid, s'habiller, ce qui portait atteinte à son amour de la nudité. Elle était pourtant un minimum pudique, mais elle ne se sentait totalement libre que lorsqu'elle n'avait aucune pièce de tissu sur le corps. Elle s'habillait lorsqu'elle marchait parmi les Hommes pour ne pas les choquer, par respect pour eux, mais si elle avait pu passer sa vie entière à poil, elle l'aurait fait sans hésiter. Elle s'égarait, elle s'égarait ... Le mur, il fallait rester concentrée sur le mur. Ses yeux balayèrent instantanément les alentours. Des grandes rues trop éclairées pour ce qu'elle comptait faire, des bâtiments dont la façade donnait sur les trottoirs. On pourrait la voir. Ce n'était pas encore ça, il fallait continuer à marcher.
Après deux heures d'errance environ, les yeux de la brunette se posèrent sur un coin de rue très sombre, derrière un bar qu'elle venait de dépasser. Une montée d'espoir s'empara d'elle, espoir qui se concrétisa lorsqu'elle eut franchi le coin de la ruelle. Les bâtiments n'offraient aucune fenêtre sur la petite rue, et aucune lumière ne venait l'éclairer. C'était parfait. La jeune femme toucha le mur qui se trouvait sur sa droite, laissant sa main palper le ciment froid. Le mur était assez lisse et uniformément blanc. Encore mieux. Elle s'avança de quelques pas et entendit quelqu'un tousser, des profondeurs du noir qui couvrait le fond de la ruelle. Elle n'avait pas peur. Elle n'avait peur de personne, à vrai dire. Elle était suffisamment forte, rapide et agile pour échapper à n'importe qui. Aussi, elle se contenta d'aller en direction de cette toux grasse et maladive, absolument sure d'elle. Une masse sombre gisait près d'une poubelle, ratatinée, allongée sur le sol. Ce devait être un sans-abri. Sacha eut un pincement au coeur quand ses yeux se posèrent enfin sur le clochard qui dormait là. Voilà ce que la société avait fait. Voilà une preuve de la monstruosité de l'humain. Cette image la décida. Elle savait maintenant ce qu'elle voulait faire. Elle visualisait déjà son oeuvre dans sa tête. Mais avant de se mettre au travail, elle se pencha sur le corps inanimé pour le bousculer un peu. Un grognement monta du clodo. Sacha ne recula pas pour autant, elle se contenta de sortir un morceau de pain de son sac, ainsi qu'un masque d'infirmier. Une main squelettique s'empara de la nourriture mais laissa tomber la fibre blanche par terre. La jeune femme prit alors une voix douce et rassurante :

Vous devriez mettre ça, je vais utiliser des produits assez toxiques, et je ne voudrais pas qu'il vous arrive quoi que ce soit à cause de moi ...

Elle ramassa le masque et le tendit à nouveau à l'homme, qui hésita quelques secondes avant de le prendre, lui lançant un regard interrogateur. Elle se leva alors et retourna sur ses pas. La jeune femme finit par poser son sac, qui émit un bruissement métallique, duquel elle extirpa une combinaison blanche semblable à celle des dératiseurs ainsi qu'un second masque d'infirmier. Elle enfila son attirail, sans oublier de mettre des gants en latex. Sacha sortit ensuite une quinzaine de bombes de son sac, de couleurs variées et de bonne qualité. Ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas tagué. Elle allait s'en donner à coeur joie, cette nuit.

[UP]

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