J'vais les mettre ensemble j'vous dis !

« Il n'y a pas de mauvaise route, il n'y a que des mauvaises rencontres. »
- Patrice Leconte

Dès que je l'ai vu, j'ai pensé à elle. Son tic de passer sa main dans sa nuque, son sourire irrésistible, ses yeux qui ne peuvent voir que du bien de tout le monde... Dès que j'ai commencé à lui parler, j'ai pensé à elle. Sa voix un peu grave, sa manière de pencher légèrement la tête sur la gauche. Et en la revoyant elle, je me suis rappelé lui. Ses joues qui rougissent pour un rien, ses yeux rieurs si expressifs, sa façon de se mordre légèrement les lèvres... C'est de là qu'est venue l'idée. Il le fallait, ils vont si bien ensemble ! Bon, ils ne se connaissent pas, mais ils sont complémentaires. Ce n'est pas le genre de truc qui me saute aux yeux d'habitude, mais là, c'était flagrant. Un aveugle l'aurait remarqué. Depuis que le dialogue est revenu avec elle, nous sommes de plus en plus proches, et je veux qu'elle soit heureuse ! Si jamais ça ne marche pas, au moins j'aurai essayé... Essayer ne coûte rien ! C'est une bonne phrase. C'est sûrement pour ça que je suis en train de traîner un grand brun récalcitrant par la main pour l'emmener dans les jardins. Il grogne, un peu mécontent. Inutile mon coco, tu viendras, de gré ou de force ! Je m'arrête et me met sur la pointe des pieds, me dévissant le cou. Enfin je l'aperçoit près d'un banc en marbre, devant le champ de fleurs. Je fend la foule, bousculant les divers étudiants qui m'excusent d'un sourire. Personne n'a envie d'être de mauvaise humeur aujourd'hui. Sauf peut-être le grand brun qui va perdre une oreille s'il n'y met pas un peu plus de bonne volonté ! J'arrive enfin devant la rousse, essoufflée. Le temps des présentations est venu !

« Ira ? Voici Aden, le nouveau Molière. Aden ? Voici Ira, ma meilleure amie. »

Encore une journée à l’académie que j’avais pensé simple et sans embrouilles. Un truc qui ne m’ennuie pas à mourir, une journée où je n’aurais pas à sortir sous cette chaleur, malgré le vent frais d’automne qui revenait déjà. Sauf que pour m’embêter le programme n’en était pas ainsi. Après quelques petites embrouilles avec Lexy, nous sommes redevenues meilleures amies, plus soudées désormais. Et elle a eu la magnifique idée de vouloir m’emmener dans les jardins aujourd’hui. J’ai accepté, parce que j’avais réellement envie de la voir, et sans hésiter je m’étais vêtue d’une robe verte pomme, à brettelles, s’arrêtant un peu plus haut que les genoux. Avec des ballerines blanches. Et maintenant, j’étais en route vers les jardins, car elle allait me rejoindre d’une minute à l’autre.

Je m’assois finalement sur un banc en marbre blanc, sous un chêne, et fixe le grand parterre de fleurs en face de moi. Sans hésiter, je me lève et vient en cueillir une rose pour la mettre dans mes cheveux que je n’ai pas pris la peine d’attacher. Je souris, retourne sur le banc et sort mon livre de théâtre pour réviser un peu, le temps d’attendre. Puis Lexy se prêtera sans mal à ce jeu, j’en suis consciente puisque c’est une Molière tout comme moi. Je lis donc où j’en étais, à voix basse, histoire de mieux mémoriser. Quelques fois je replace les mèches rebelles de mon visage, en réfléchissant.

C’est la voix de Lexy qui me sort de mes pensées. Elle m’interpelle et me présente Aden. Lorsque je lève les yeux, je vois un mec –super mignon il faut le dire-, planté à côté d’elle. Aussitôt je baisse les yeux, très gênée et range mon manuel en me levant. Je tripote une mèche de mes cheveux, lance des regards anxieux à ma meilleure amie. Alors comme ça elle voulait me présenter quelqu’un ? Cool, mais elle sait que face à un garçon je suis un phénix piégé dans son pire cauchemar, perdant le feu qui brille en lui. Quoi que, pas vraiment puisque le rouge me monte vite aux joues, surtout quand il passe sa main  sur sa nuque et me regarde en disant qu’il est enchanté de me voir.

Je hoche la tête et repose mes fesses sur le banc, tentant de calmer les battements de mon cœur qui a tout aussi peur que moi. Je souris tout de même, et lui renvoie sont « enchanté ». Bon, au moins une bonne chose de faite, mais que dire ? je vais pas m’enfuir en courant, de toute façon impossible… alors je me contente de reporter mon regard sur lui, un peu perdue.

J'vais les mettre ensemble j'vous dis !

« Il y a des fleurs partout, pour qui veut bien les voir. »
- Henri Matisse

Est-ce que ça v marcher ? Mon avis est partagé sur la question. Aden a tout de suite accroché, son regard a brillé en voyant Ira, et l'a saluée poliment, avec de la chaleur dans la voix. Je m'en doutais. Personne ne résiste à Ira, à ses yeux rieurs, à ses joues qui rougissent. Il m'a tout de même adressé un regard étonné, se demandant ce qu'on fait là. Et oui mon coco, j'fais pas les choses à moitié ! Il faut quelqu'un à Ira, quelqu'un de bien, et Aden convient parfaitement, surtout s'il accroche comme ça. Elle, en revanche, n'a pas encore lâché un mot. Je sais qu'elle n'est pas confortable avec les garçons - sûrement la raison pour laquelle elle me regarde avec des yeux de canard perdu-. Allez, Ira, un petit effort ! Je me met face à elle et lui fais un signe sympathique en direction d'Aden, même si celui-ci ne peut pas le voir. Elle ne parlera jamais si je suis là, c'est bien le problème, mais ce serait cruelle de la laisser ici seule dans une situation très inconfortable. Mais bon, aux grands maux les grands moyens ! Il va bien falloir que tu parles à des mecs un jour, et celui-ci est tout ce qui lui faut. Je me tourne, me mords les lèvres et fait mine de regarder la montre.

« J'avais oublié, j'ai un rendez-vous super important avec la prof ! On se voit plus tard ? »

Sans attendre leurs réponses, je file plus vite qu'un Antarès qui aurait vu une tasse de thé. Je viens de griller la priorité à Ira, mais je pouvais pas la laisser filer. Allez, bonne chance !

A cet instant précis où je l’avais vu je savais que ma vie allait changer, rien qu’avec cette rencontre. Mais à quel point ? C’est la chose que j’ignorais le plus. Je n’osais même pas le regarder droit dans les yeux. Je suis trop timide, et parler en présence de Lexy me gêne d’autant plus. Au point qu’elle le remarque et invente –je la connais trop pour le savoir- un rendez-vous qu’elle n’était pas censée avoir. Je n’ai même pas le temps de lui dire au revoir, elle est déjà partie. Je suis désormais seule avec Aden –tel est son nom-, et je le regarde discrètement avant de détourner le regard. Sauf que quand il demande à s’asseoir à côté de moi, mon cœur explose et moi avec. Je ne comprends pas tout de suite, avant de le décaler et de mettre mon sac par terre en souriant légèrement.

« Je t’en prie, assieds-toi. »

Il m’intimide, encore plus que les autres garçons. Pourtant, je reste toujours droite, essaie de ne pas baisser la tête. J’observe les fleurs pour ça, en écoutant le vent souffler et les insectes voler. Je souris, un vrai sourire d’apaisement. Enfin. Mais il ne reste pas longtemps, il fait rapidement place à un  sourire gêné et mes joues me brûlent. Je rougis, encore et encore ! Il faut que cette manie me passe, mais c’est dur. Surtout quand je pense que le garçon à mes côtes a tout pour faire craquer toutes les filles qu’il veut. Pourquoi Lexy me l’a-t-elle présenté ? Elle me fait peur parfois, et cette rencontre en est la preuve, qu’elle ose tout pour s’amuser. Mais si elle a fait ça, je pense que c’est pour mon bien.

« Lexy est assez maligne quand elle s’y met, elle m’avait dit que je la verrais elle, alors j’ai mis une robe simple, j’aurais dû en mettre une autre ! »

Malgré ça, j’esquisse un sourire et lui jette un coup d’œil pour voir sa réaction. Je suis assez nerveuse, il faut que je me contrôle et pourtant c’est une épreuve difficile pour moi, trop difficile. Un mec parfait qui me parle, à moi, Ira Kjerstin, la fille qui fait en sorte d’être bien vue mais au fond craint par-dessus tout le regard des garçons.