-Narration :
Sandy Farmer (8 ans), chez elle.-
« Maman, j'ai fait
tomber le bonbon
Maman, donne moi un autre bonbon, s'il te plaît
Dis, maman, dis, maman... »
« -Votre fille est victime
du syndrome d’œdipe, mais son cas est assez particulier. C’est un syndrome d’œdipe
homosexuel. »
C’était les mots que l’homme à la blouse blanche avait prononcé de sa
voix monotone. Tu te souviens, maman ? Après qu’il ait dit ça, tu t’es
empressée de payer, tu m’as pris par la main d’une manière ferme, et tu es
rentrée en vitesse à la maison. Je me souviens encore du bruit de la porte qui
claque, de tes cris de dégoûts. De tes pleurs, aussi… Maman, pourquoi tu t’es
mise à pleurer ? Quand je me suis approchée de toi, tu as hurlé. Je ne
comprenais pas tes mots, ils étaient noyés dans tes larmes qui ne cessaient de
couler. Quand j’ai voulu te prendre dans mes bras pour te réconforter, ma douce
maman, tu m’as frappée. Suite à ce
mouvement de ta part, ton bras ne cachait plus ton visage habituellement si
magnifique. Je pouvais le regarder, ce que j’avais fait, en notant chaque
détail en moi. Tes yeux étaient rouges et mouillés, ta bouche avait pris une
forme bizarre, qui me montrait ta douleur et ta colère. Tu étais en colère
contre moi, maman ? J’ai voulu m’approcher, mais tu m’as hurlé de m’en
aller. Je ne voulais pas te laisser seule, maman. Tu es celle qui m’a mise au
monde, celle qui m’a donné un nom, la première qui m’a aimée… Ce doit être pour
ça que je t’aime, en fait.
-2 ans plus tard ;
narration interne (Sandy) ; âge de Sandy : 10 ans ; lieu :
chez elle.-
Maman, ce jour là c’était mon
anniversaire. L’année d’avant, tu ne m’avais rien offert, tu ne m’avais juste
pas frappée. Tu risques de trouver ça bizarre, mais tes coups n’ont pas abimé
mon cœur. Il est intact, mes sentiments n’ont pas changé. Tu m’as haïe parce
que je t’aime, maman ? Dis-moi pourquoi tout est devenu ainsi, s’il te
plaît. Un jour, tu me prends dans tes bras en souriant, en me disant que tu m’aimes,
que je suis la plus belle chose qui te soit arrivée, et le lendemain, tu me
frappes, tu me hurles que je n’aurais jamais dû vivre, et pourtant… Tu me
laisses vivre. Pourquoi ? Maman, je n’ai jamais réellement compris ce qu’il
se passait en toi. C’est peut-être pour ça que je t’aime, aussi. Lunatique et mystérieuse
maman. Oui, ce jour là, j’ai eu 10 ans, alors, non, tu n’aurais pas du venir
vers moi, me coincer une nouvelle fois dans l’angle de cette pièce pour frapper
mon corps maigre et me donner un aperçu de la mort. Je voulais te parler,
maman, mais quand j’ouvrais la bouche, aucun son ne sortait. Je voulais crier,
pour que tu arrêtes de me faire mal. Mais tu ne m’aurais pas écoutée. Tu te souviens,
maman ? Ce jour là, c’était mon anniversaire, tu m’as frappée et je suis
allée à l’hôpital, car en gentille mère que tu es, tu m’as pris délicatement
dans tes bras en pleurant. Peut-être que dans le fond, tu m’as un peu aimée,
maman.
-Quelques années plus
tard, narration externe ; âge de Sandy : 14 ans ; lieu : un
des nombreux collèges que Sandy a fréquenté.-
C’était le jour de la rentrée.
Une masse d’élèves se précipitait vers un endroit ou étaient disposées des
listes, sur lesquelles étaient indiquées les classes et les élèves. On pouvait
remarquer des filles se serrer les unes contre les autres ; certaines
souriaient, tandis que quelques unes avaient un air déçu sur le visage. Il y
avait aussi les garçons, qui, eux, préféraient se taper dans la main et rire
des classes quand lesquelles ils allaient passer l’année. Parmi tous ces gens,
il y avait lui, ou elle, on ne sait pas trop. Seul, le regard vide, ne
remarquant sûrement pas les gens qui le pointaient du doigt. Quand la sonnerie
retentit, il se fraya un chemin parmi les personnes groupées qui lui barraient
la route, regardant par terre, toujours. Comme tout bon élève, il se rangea.
Seul. Au fond du rang. Il entra en classe. Seul. Au fond, dans un coin. A midi,
il ne mangeait pas. Il était assis. Seul. Pendant les pauses, il ne parlait
pas. Seul. Oui, cette personne était toujours seule. Sandy, car c’était elle,
était seule.
-Milieu de l’année
scolaire, narration interne : Sandy ; lieu : toujours dans ce
fameux collège.-
Que de regrets. Je n’aurais
jamais du faire confiance à cet élève. Jamais je n’aurais du lui confier un de
ces poids qui me brisent le cœur. Jamais je n’aurais du lui parler de ce
syndrome qui m’a fait tant de mal sans que je puisse rien faire pendant tant de
temps. Je me souviens, quand je lui ai dis, il m’a d’abord regardé avec un air
surpris. Puis il s’est levé du banc sur lequel nous étions assis, et a crié. Il
a crié des insultes, provoquant une attention de la part d’autres élèves. Il a
hurlé, peut-être sans vraiment le savoir, ce que j’aurais du finalement garder
pour moi. Je me souviendrais toujours des doigts qui se sont pointés sur moi
suite à la découverte du fait que je l’avais aimée, cette femme, cette vénus.
Certains se sont mis à rire, d’autres m’ont jeté des cailloux en m’hurlant ce
que je n’étais pas. Oui, les gens m’ont tant haïe parce que j’ai aimé maman, comme
elle m’a haïe parce que je l’ai aimée. Et la vie, me hait-elle parce que j’ai
aimé maman ?
« Profondément à
l'intérieur de l'enfer de mon cœur... Je ne peux revenir
Un perdant automutilé, qui est incapable de voir un lendemain
Le suicide est la preuve de la vie.»
-Fin de l’année
scolaire, narration interne ; lieu : chambre d’hôpital.-
« - Je l’aime sans l’aimer.
Je ne sais plus si c’est cet amour maternel ou si je tiens vraiment à elle,
mais je sais que mes ressentis de petite fille ne sont plus en moi. Ca paraît
compliqué, mais c’est pourtant simple. Maman, je l’aime parce que c’est ma
maman, parce qu’elle m’a fait vivre et m’a appris à sourire, à croire, à
espérer, et dans certains moments ça m’a été très utile. Ce qui est compliqué à
comprendre, c’est que les gens se sont mis à me pointer du doigt, à me frapper,
comme maman a fait, alors que eux, je ne les aimais pas. J’aimais maman, c’était
un poids pour elle autant que pour moi, elle me frappait, pensant que c’était
la solution, qu’elle serait libérée de cet amour que je lui porte, et que mon cœur
ne serait plus prisonnier de ce sentiment. Mais ces gens, au collège, qui me
frappaient et riaient de moi, ils n’auraient rien pus faire, car je n’avais
plus personne que mon cœur pouvait aimer, je ne ressentais plus cet amour, et
eux, je ne pouvais pas leur empêcher une quelconque chose dans la vie, étant
donné que rien en moi ne se rapportait à ce qu’ils sont… Et la vie, parlons-en.
Je l’ai vécue, je la vis, je la vivrais. J’ai fait de mon mieux pour l’aimer
même dans les pires moments. Alors, pourquoi m’avoir poussée jusqu’à l’envie d’en
finir ?
- Peut-être parce que vous n’avez pas su
espérer aux moments ou la vie s’avérait être plus généreuse ?
- Pourquoi la vie ne sait-elle pas se montrer généreuse quand on est au
bord du gouffre ?
- Ce serait pour cet égoïsme de la part de la vie que vous êtes alors
dans cet état ? »
Dans quel état suis-je réellement, actuellement ? Des cicatrices
couvrent mes membres, particulièrement mes bras, et mon torse est bandé. Il est
plat. Je ne sais pas ce qu’il m’est arrivé. Je ne sais pas pourquoi j’ai pris
ce couteau, pourquoi j’ai hurlé, et pourquoi j’ai poignardé mes seins. Non, je
ne le sais vraiment pas.
« - Sûrement. Peut-être que
si la vie ne m’avait pas faite ainsi, je ne serais pas ainsi, actuellement. »
-Une semaine avant la
rentrée en seconde ; narration interne. Âge de Sandy : 15 ans ;
lieu : chez elle.-
Je parcourais agilement, comme à
mon habitude depuis maintenant quelques mois, le manche de ma guitare, jouant
ma première composition, bien que j’aie un peu de mal à en lire les notes suite
au fait que la feuille soit assez abimée. Je terminais le morceau et me dirigerais
vers le salon, ayant entendu quelqu’un appeler mon nom. Je descendais les
escaliers, admirant, comme d’habitude, les tableaux qui ornaient les murs et la
finesse des lustres qui décoraient le plafond, pour finir par me diriger vers
le canapé ou m’attendait Élena, la femme qui avait ma responsabilité depuis
maintenant 5 ans. Je m’assis à ses côtés, me demandant ce qu’elle voulait me
dire, mais j’étais assez rassurée car elle me souriait gentiment, comme si elle
était heureuse pour moi suite à une nouvelle qu’elle allait m’annoncer.
« Tu as été acceptée à l’Académie. »
Je me mettais alors à sourire
aussi. J’allais enfin pouvoir vivre de la musique, cette passion, cette raison
d’exister, cet art qui illuminait tant ma vie ! J’allais entrer dans une
Académie très réputée ou n’étaient acceptés que les gens dotés de grande
capacité, et me perfectionner afin d’atteindre ce but que je cherche tant. Ma
satisfaction fut courte car Élena n’avait pas que cela à m’annoncer, d’ailleurs
je ne sais toujours pas comment elle a pus continuer à sourire malgré cela.
« Et… C’est ta mère qui t’y
emmènera. »
Ma mère ? Je ne voulais pas
le croire. Elle devait m’avoir oubliée ! Elle aurait dû changer de vie
après m’avoir laissée, elle aurait dû fonder une vraie famille, avec quelqu’un
qu’elle aime et qui l’aime, avec des enfants normaux, pas comme moi… Élena
avait dû remarquer que je n’allais plus aussi bien qu’avant et me pris dans ses
bras, se mettant de sorte à ce que je puisse verser quelques larmes sur mon
épaule, tout en pouvant me caresser doucement le dos afin de me rassurer.
« Elle viendra te chercher
dans 5 jours. »
5 jours. Il me restait 5 jours à
m’imaginer ce qu’était devenue ma mère. Si elle était redevenue belle et
élégante, ou si elle avait gardé cette maigreur et ce visage de cadavre. J’avais
tellement peur…
-5 jours plus tard, narration
interne ; lieu : dans la voiture de la mère de Sandy-
Cela faisait maintenant une heure
que nous étions en train de rouler. Aucune de nous n’avait prononcé le moindre
mot, je me contentais de l’observer de temps en temps, et parfois nos regards
se croisaient, nous faisant rougir et redirigeant son regard vers la route et
le mien vers le paysage. Le silence fut brisé par une parole de ma part.
« Merci. »
Maman s’arrêta sur la chaussée. Elle inspira,
gardant les mains sur le volant, regardant droit devant elle, tandis que je l’observais.
Elle avait laissé ses cheveux pousser et les avait lissés, cela allait
magnifiquement bien avec son visage fin et pâle. Ses yeux avaient repris leur
éclat d’autrefois, et leur couleur vert émeraude s’accordait très bien avec sa
chevelure rousse. Ma contemplation fut interrompue par sa tête se tournant vers
moi. Nous nous regardions alors les yeux dans les yeux.
« - Pourquoi tu me remercies ?
- Parce que tu es ma mère.
- J’ai failli te tuer.
- Tu m’as appris la valeur de la vie.
- Cet argument est stupide.
- J’ai un grand nombre de raisons pour te remercier, les énumérer me
prendrait bien trop de temps, alors accepte ce remerciement, et accepte le fait
que moi, ta fille, je t’aime, mais d’un amour comme un père aime son fils, ou
un frère aime sa sœur. Pas cet amour qui nous a tant détruites toutes les deux. »
Ces mots étaient sortis tous
seuls. Je les pensais, certes, mais je ne comptais pas les lui dire, à la base.
Maman se remit en route, et le silence se réinstalla. Nous roulions pendant ce
qui parut de longues heures, mais en fait, seulement 45 minutes s’étaient
déroulées. Elle se gara devant ce qui allait être ma nouvelle maison, et nous
descendions. Elle m’aida à prendre tous mes bagages, et, à ma plus grande
surprise, me pris dans ses bras, et me chuchota à l’oreille un « je t’aime ».
Je ne lui répondis pas, me contentant de lui sourire, puis de faire demi-tour
pour enfin atteindre ce que je visais tant, cette Académie… Peut-être allais-je
réussir à être vraiment heureuse, maintenant.
« Blesser, être blessé, les gens cachent leur
cicatrices mais
Mais il faut essayer de se surpasser soi même ! Les cicatrices deviendront de
jolies fleurs »