Le blond soupira. Il sembla plongé dans ses pensées, tandis qu’Ethan avait reporté son attention sur la lune qui s’élevait dans le ciel, derrière la fenêtre. Une brise nocturne poussait les nuages qui masquaient l’astre pendant quelques instants. Un silence étrange s’était formé dans la pièce, et on entendait plus que la respiration des deux adolescents. Finalement, Nate le brisa :

«Peux-tu jouer un autre morceau ?»

Le brun se retourna, arquant un sourcil. Il répondit, son regard planté dans celui du blond :

« Ouais, si tu veux. »

Il abandonna son poste près de la fenêtre pour retourner s’asseoir sur le tabouret de piano, en face de l’instrument. Il caressa les touches un instant et commença à jouer.



Une mélodie douce, lente et mélancolique. Ses doigts effleuraient à peines les notes, et Ethan, une fois de plus, fut plonger dans ses souvenirs. Il regardait ses mains sans les voir. C’était inutile, il connaissait ce morceau par cœur. C’était l’homme qui lui avait appris à jouer du piano, dont il ne connaissait même pas le nom, qui le lui avait fait jouer pour la première fois. Ethan avait alors onze ans. Le brun s’en souvenait comme si ce jour n’avait pas été aussi lointain. A cette époque, il vivait dans l’ignorance, profitant du présent sans se soucier de l’avenir, parce qu’il savait que le bonheur qui l’envahissait lorsqu’il jouait prendrait vite fin et que son quotidien allait reprendre le dessus. S’il ne s’était pas perdu, ce soir-là, il n’aurait jamais découvert ce que son professeur appelait son « don » pour le piano.
Les notes s’éteignirent au bout de ses doigts et Ethan redressa la tête. Nate l’observait.

Ethan jouait comme il avait joué les fois précédentes. C’est-à-dire avec une aisance et une légèreté synonymes d’un long travail mais aussi d’une sérénité parfaite, indispensable pour une telle dextérité. On retrouvait le côté galopant des notes de Fly, mais dans un genre différent, plus doux, plus lent. Le morceau était également plus simple, cependant il n’en demeurait pas moins beau, au contraire. Comme Nuvole Bianche, il semblait avoir été fait pour le pianiste. Pourtant Nate avait la conviction qu’il avait été écrit par quelqu’un d’autre. Cela pouvait se voir sur son visage. Le compositeur de cette mélodie était sans aucun doute quelqu’un de cher au cœur du brun, quelqu’un qui le rendait nostalgique. Quelqu’un qui l’inspirait, aussi. Les trois derniers morceaux joués par Ethan étaient tous étroitement liés par une relation que le dessinateur percevait tout en étant incapable de la qualifier ou de la décrire.
Lorsque le morceau prit fin, les regards des deux garçons s’entrechoquèrent dans la pâleur de la nuit. Nate referma son carnet à croquis et se leva en silence.

- Tu fais quoi ? demanda Ethan, légèrement surpris.

- Je retourne dans mon dortoir avant le couvre-feu.

Laconique, comme d’habitude. Ethan affichait une expression située quelque part entre la surprise, l’indignation et la lassitude.

- J'ai cru que tu étais venu pour me dessiner ?

Sa remarque ressemblait presque à un reproche. S’approchant du piano, Nate le sonda du regard tout en répondant :

- Je vais le faire.

Ethan fronça les sourcils, un peu perplexe. Très vite, il haussa nonchalamment les épaules. Nate lui tendit la main.

- A bientôt, Ethan.

Nate referma son carnet à dessin doucement et se leva. Ethan fronça les sourcils, partagé entre la surprise et une légère exaspération. Il partait ? Alors pourquoi était-il venu si c’était pour que, finalement, Nate ne vienne pas à bout de son dessin? Ethan se sentit un peu coupable l’histoire d’une poignée de secondes. Il était un mauvais modèle, ne coopérait même pas. Au lieu de lui faciliter la tâche et de se laisser dessiner, il avait compliqué la chose et maintenant, Nate partait. Pourtant, Ethan voulait en savoir plus sur le blond. Lui aussi, il cachait quelque chose, le brun en était certain.
Après un rapide échange de paroles entre les deux adolescents, Nate tendit sa main vers Ethan et le salua. Alors, finalement, il allait le dessiner. Le brun soupira, se leva et empoigna la main du blond.

« A bientôt. »

Toujours d’une neutralité parfaite, sans la moindre faille dévoilant un fragment de ses émotions, Nate s’éloigna et referma la porte derrière lui. Ethan se rassit sur le tabouret de piano et caressa les touches d’ivoires. Il ne se redressa que lorsque le bruit des pas du blond s’éteignent entièrement dans le couloir et s’en alla à son tour, refermant doucement la porte de la salle de musique derrière lui.