Midi. Et pourtant, le froid déjà se fait sentir malgré les flammes rassurantes de l'âtre. Ou du moins se fait sentir des gens normaux. Car tu ne le sens pas, la Russie t'a bien servie. Tu regardes par la fenêtre. Tu attends qu'il neige. Puéril n'est-ce pas ? Mais c'est ainsi. Étalés sur la table, de vagues croquis annotés. Pas de véritables dessins, juste de formes presque en bâton pour donner une idée de la chorégraphie sur laquelle tu travailles. L'horloge sonne le tocsin comme au dernier jour. Ton crayon griffonne convulsivement. Pas de bourrée. Entrechat. Pirouette. Peu de gens de l'académie font du classique. Tu es une des seules et le prof a un peu de mal parce qu'il est plus branché moderne. Tu lui as concocté une révision de l'Oiseau de Stravinsky avec une danse classique libre. Une danse classique dont certains mouvements sont inspirés d'autres danses. Puis l'orage éclate. Lancé par une phrase.

« Hey toi ! Tu me passeras ton travail. J'ai la flemme de travailler sur une chorégraphie. C'est clair ? »

And here we go ♫ L'attaquante est une fille aux boucles blondes. La victime est une fille normale. Non, je ne considère pas les blondes comme normales, non. Surtout pas celle-ci. Elle est du type pom-pom girl. Si elle n'avait pas un quelconque talent pour la danse et de l'argent, elle ne serait pas ici, elle serait reine de promo dans un lycée plus ou moins prestigieux. L'autre est une élève de la même année que toi. Une grande fille qui se balade souvent avec une espèce de molosse dérivé du dogue allemand. Tu aimes les chiens, particulièrement les gros. Mais tu préfères les oiseaux. Les cygnes. Mais là n'est pas la question. Cette jeune fille ne semble pas disposée à donner le fruit de son labeur à l'OVNI blond.

« Aussi clair que de l'eau de roche. Mais désolé pour toi, je ne te donnerai pas mon devoir. A toi de faire le tien je ne suis pas ta boniche.
- Oh...comme c'est dommage... Sauf que le hic c'est que tu ES ma bonniche. Tu ne le sais pas encore mais ici c'est moi le chef. Alors tu la boucles et tu me le passe. »

Tss, tss, tss quel dommage. Tu n'as peut-être pas le sens du tact mais tu as celui de la survie. Les mafieux russes t'ont appris l'humilité ace à une force supérieure ou non évaluée. Ce n'est pas le cas de la pouffiasse visiblement. Tu as été une prostituée certes mais tu as appris que les véritables putes n'étaient pas celles qui vendaient leur corps par obligation. Ce sont les salopes qui traitent les autres comme des merdes tout en donnant leur corps. Gratuitement. C'est ça une belle salope. Qui va se faire péter la gueule.

« Je ne la boucle pas et je ne te le passe pas. Tu ne sais pas à qui tu as à faire ma petite. Je suis Julie Sharrone Indianna Mourren. Et je ne me laisserais pas marcher sur les pieds par un idiote dans ton genre ! Alors maintenant avec ta bande de groupies allez voir ailleurs si j'y suis ! Et que je ne vous vois pas en train de martyriser des gamins ou des gamines plus jeunes. Maintenant vous pouvez disposer. »

Uppercut du droit, reprise du gauche. L'adversaire est au tapis. T'en penses quoi Rapunzel ? T'es d'accord ? Ouais hein, pour une fois que t'es d'accord avec ta conscience. Une fois debout, la jeune femme mesure plus d'une tête de plus que l'OVNI bouclé. Ce dernier décide que c'était un peu trop dangereux de ce côté-là et tourna les talons en laissant l'autre se rasseoir pour travailler sur sa chorégraphie. Sauf que voilà. Elle vient vers toi la pom-pom girl. Ne l’abîme pas trop. D’accord princesse ?

« Alors la tarée ? Sur quoi tu travailles ? Encore du classique ? T'es vraiment ringarde. Mais ce sera toujours mieux que rien. File-moi ton travail, t'en as pas besoin de toute façon, t'es nulle c'est pas ça qui changera quelque chose. »

Tu ne réponds pas, tu ne la regardes même pas. Tout ce que tu fais c'est sortir un paquet de Camel, ton briquet et t'allumer une cigarette. Puis t'accoudes au dossier de ta chaise et tu regardes par la fenêtre. Il ne neige toujours pas. Ton indifférence irrite la blondasse.

« Regarde-moi quand je te parle. Tu vas me filer ton boulot. Et baisse les yeux ! »

Sa dernière réplique a été motivée par ton regard. Tu as plongé des yeux de cristal dans les siens et tu l'observes avec profond mépris. Tout le mépris, toute la haine, toute la rancoeur que la terre puisse porter, tu l'exprimes. Et quand elle t'intime, la voix vacillante, d'arrêter immédiatement de fumer, tu lui souffles un nuage de nicotine au visage. Elle souffle en fronçant le nez et en plissant des yeux. Elle a perdu de sa superbe la petite. C'est d'un ton railleur que tu lui réponds enfin.

« Je te regarde ou je baisse les yeux ? Faudrait savoir ce que tu dis princesse. Quand à mon travail tu peux toujours rêver pour l'avoir. De toute façon les hippopotames de Fantasia dansent mieux le classique que toi. »

Quelques rires moqueurs s'élèvent de la salle.

« La ferme vous tous ! Ton ton se durcit. Tu te rapproches de l'oreille de la blonde comme si tu allais lui souffler un secret. Fais attention où tu mets les pieds petit ange. J'en ai vu des bien pires que toi... Et je ne loupe jamais mon coup. »

Tu lui désignes d'un doigt discret le couteau qui orne ta botte. La jeune fille blêmit et s'en va sans demander son reste. Tu balaies la salle d'un regard peu amène, comme si tu demandais d'autres volontaires. Tu es trop sauvage Rapunzel. Trop méchante. Je te hais des fois. Je t'aime des fois. Tu me fais peur des fois. Il ne neige toujours pas dehors et tu regardes par la vitre comme une gamine qui attend le Père Noël. Sauf que tu as plus de chance d'apercevoir de la neige que le Père Noël.