Les nuages gris parsemaient le ciel. La pluie ne tarderait certainement pas à arroser tout le patelin. Les gens se grouillaient pour rentrer chez eux, sauf les touristes émerveillés par toutes ces vitrines qu'ils croisaient. Pourtant, il n'y avait rien de fabuleux ici ; boutiques de vêtements, boutiques de chaussures, librairies, tabacs... Tout ce qu'on trouvait habituellement dans une ville, quoi. Y avaient même des asiatiques en train de s'extasier devant des présentations de bijoux. Un groupe de jeunes japonaises un peu fofolles qui hurlaient de plaisir face aux choses brillantes et sans intérêts, de toute façon trop chères pour elle.
Un pas lourd s'écrasa dans une légère flaque d'eau. Les gouttes arrosèrent le bas du pantalon de l'Anglo-écossais qui martelait les pavés avec une indifférence palpable. Ses chaussures style Doc Martens étaient mouillées mais, heureusement, l'eau ne traversait pas. Une clope coincée entre ses lèvres, il avançait en observant ce ciel sombre qui présageait un temps maussade -un temps qu'il adorait. Sans même regarder devant lui, se faisant insulter au passage par ceux qui essayaient de l'éviter au dernier moment, Peeta continuait sa route vers une destination encore inconnue.
Il rejeta la fumée de sa cigarette par le nez, glissa une main hors de la poche de son sweat noir et passa ses doigts dans ses cheveux de jais encore ébouriffés du matin. En fait, son portable l'avait réveillé ; un propriétaire de restaurant qui demandait à l'avoir comme pianiste durant une soirée. N'avait-il que ça à faire ? Non. Peeta préférait nettement déambuler dans les rues qu'il ne connaissait pas encore. Cela ne faisait pas longtemps qu'il était arrivé dans le coin, quittant tout ce qu'il avait connu pour rejoindre l'Académie des artistes. Bref, après ce réveil en fanfare rempli de grognements, il avait enfilé un jeans noir, un débardeur blanc et ce fameux sweat noir qu'il avait laissé ouvert pour apprécier un minimum l'humidité de cette journée. Il avait prit un petit-déjeuner rapide avant de quitter l'enceinte de l'établissement -le dortoir des Beethoven.
Peeta stoppa sa marche d'un coup. La personne derrière lui le percuta, s'excusa avec un froncement de sourcils. L'anglo-écossais restait imperturbable, fixant cette fois-ci droit devant lui. Où allait-il, finalement ? Cette journée n'avait pas de sens. Alors il approcha d'une petite boutique aux sandwichs et aux pâtisseries. Son regard ambré parcourut les étalages avant qu'il ne pousse un soupir.
Pas moyen de trouver des trucs végétariens ici, pensa-t-il avec lassitude.
A croire que le monde n'était fait que de mangeurs de viande, que tout le monde refusait de voir la réalité en face. Il n'hésita pas une seconde et écrasa son mégot de clope contre la vitrine des sandwichs avant de faire demi-tour. Personne ne l'avait remarqué, apparemment.
Il se repassa une main dans les cheveux, cette main qui sentait atrocement le tabac. Un léger froncement de nez dévoila son mécontentement avant qu'il ne redevienne aussi indifférent qu'un robot. Sa marche reprit, ses prunelles recherchant en vain une bouffe plus comestible et moins cannibale.
C'est alors que passa à ses pieds une boule de poils très pressée. Un chat, visiblement. Encore jeune, peut-être de quatre ou cinq mois à peine, d'un blanc cotonneux grisâtre à force de traîner dehors. Ses oreilles étaient plaquées en arrière, sa queue toute hérissée. Peeta le suivit du regard jusqu'à ce qu'une bande de gamins passent devant lui, à la poursuite du pauvre animal.
_ Attrapons-le !
_ On va lui faire sa fête !
Ils riaient sombrement, empreints de leur insouciance de gosses encore incultes qui ne voyaient rien de mal à faire souffrir un animal. Sans attendre, sans afficher la moindre émotion, Peeta partit rapidement à leur suite. La pluie commença alors à tomber.
Lorsqu'il rejoignit les gamins, il était trempé. Eux aussi. Le chat aussi. L'un des garçons tenait le félin par la peau du cou en ricanant bêtement. Ses trois amis, bâton de bois dans la main, tâtonnaient l'animal et le frappaient.
La voix de Peeta était profonde, rauque. Un coup de tonnerre sous la pluie battante. Ses cheveux noirs lui collaient au front, faisant ressortir l'ambre de ses yeux. Le collier de chien qu'il portait autour de son cou teinta un instant, la sangle en ferraille brilla dans la lumière.
Killer Whale.
Les gamins sursautèrent, lâchèrent le chat. Ce dernier tomba sur ses pattes et s'enfouit se blottir au fond d'un carton, seul refuge dans cette sombre ruelle sans issu. Les garçons se jaugèrent, lorgnèrent Peeta puis passèrent à côté de lui en courant, en abandonnant leurs foutus bâtons.
Seul, le jeune homme s'avança silencieusement dans la ruelle, écouta attentivement. Sous le bruit de la pluie, il perçut les grognements suggestifs d'un chat apeuré essayant de faire reculer un quelconque ennemi. Peeta s'accroupit devant l'entrée du carton où se blottissait l'animal.
_ Tout va bien, prononça-t-il d'une voix calme.
Mais le chat n'avait aucune confiance, ce qui était compréhensible après ce qu'il avait vécu. Trop de souffrance se manifestait chez les animaux, de nos jours. Peeta se releva donc, offrit un instant son visage indifférent à la pluie, puis repartit en direction de l'entrée de l'impasse.
Miouw ?
L'anglo-écossais se retourna pour voir le petit chat hors du carton, s'approcher de lui en penchant la tête sur le côté d'un minois méfiant. Tout tremblant, sale et mouillé, l'animal hésita. Peeta s'accroupit une nouvelle fois. Tendit la main.
L'animal avança. Recula. Avança encore. Son petit nez tiède toucha le bout des doigts de Peeta. Le jeune homme esquissa un fin sourire reconnaissant -un animal ne juge pas- et finit par prendre délicatement le félin entre ses mains. Il le bloqua tendrement contre lui. Le petit être à poils poussa un long ronronnement, bailla puis nicha sa tête toute entière sous le sweat trempé de l'humain.
Peeta ressentit un long pincement autour de son cœur, serra la mâchoire. Rejeta la pensée qu'il aurait pu mourir après sa course contre les garnements.
Portant l'animal entre ses bras, le protégeant autant qu'il le pouvait de la pluie, le jeune homme sortit de cette ruelle puante de détritus et marcha d'un pas rapide vers la première boutique avec un auvent pouvant le protéger des gouttes un moment. Il s'assit sur le murent bordant une vitrine de statuettes de Dragons, de Fées et autres créatures mystiques.
Qu'il avait l'air d'un clochard, comme ça, complètement trempé et assis devant un magasin où il aurait très bien pu tendre la main pour quelques pièces ! Mais non. Il avait de l'argent, dans son porte-feuille.
Une goutte d'eau ruissela le long de l'arête de son nez.
La petite boule de poils tremblota contre le débardeur de Peeta. Celui-ci resserra sa prise autour de l'animal pour le garder autant au chaud que possible.
Qu'allait-il bien pouvoir faire, maintenant ?
Quelqu'un toqua contre la vitre derrière lui. Il se tourna légèrement pour ne pas emmerder le chat, fixa la vendeuse d'une cinquantaine d'années qui lui présentait sa grosse poitrine et son doigt accusateur, jetant sur lui des menaces qu'il ne pouvait entendre de l'autre côté. Les traits toujours indifférents, le jeune homme leva lentement une main, présenta son majeur en y glissant le bout de sa langue dans un bon geste de sadisme et de je-m'en-foutisme et articula clairement :
Et puis quoi encore ? Il avait au moins le droit d'attendre que la pluie ne s'arrête, non ? De toute façon, rares étaient encore les personnes à déambuler dans la rue, là. Ils s'étaient tous réfugiés dans les magasins.
Et il protègerait le chat de toute manière.
Son estomac grogna. Celui de l'animal suivit. Le félin sortit la tête, bailla, fixa les prunelles de Peeta avec une certaine lueur genre "on a faim tous les deux, c'est marrant" puis se cacha à nouveau. Peeta souffla un petit sourire attendrit. Vraiment, il n'y avait qu'avec les animaux qu'il pouvait être lui-même.