Cher journal,

Tu es mon premier journal intime. A quinze ans aujourd'hui, tu me diras que c'est un peu tardif. En fait, je t'ai retrouvé dans mes vieilles affaires, et je me suis dit : Pourquoi pas ?
Pour commencer, une description psychologique s'impose. Oh, tu verras, rien de très grave, juste que, voilà, je pense que c'est bien de commencer avec ça.
Bon. Je vais tout de suite mettre les points sur les i, je ne suis pas vraiment gentille, enfin si, mais je ne suis pas un ange tombé du ciel non plus. Je ne suis pas normale, mais je ne suis pas totalement différente. Tu comprends ? Je suis très bavarde, oh oui, peut-être un peu trop. Bon, d'accord, beaucoup trop. Ouverte le plus souvent, très curieuse courrament. Autant vous dire que je suis pas asociale, au contraire, j'ai besoin de parler, j'ai besoin de quelqu'un à mes côtés, et surtout, j'ai besoin de compréhension. Je n'ai pas eu une histoire triste, elle est plutôt heureuse d'ailleurs. Je ne me renferme pas sur moi-même, je ne méprise pas vraiment les gens. Très excentrique, je peux avoir des réactions bizarres à certaines situations qui ne mériteraient pas vraiment tout ça, mais au fond, je m'aime bien comme je suis. Parfois, ça m'arrive de me dire que peut-être, j'en fais trop. Enfin, peut-être qu'au fond, c'est pas vraiment moi tout ça. Mais en prenant du recul, sérieusement, celui qui arriverait à changer ma personnalité un jour, ce serait... personne ? Je ne crois pas que quelqu'un puisse y arriver. Sauf Grand-Mère. Et encore (tu me demanderas qui est Grand-Mère, et bien, tu verras, c'est quelqu'un, et pas toujours dans le bon sens du terme).
Sinon, j'ai pas vraiment envie de terminer sur "J'aime la vie!" et dessiner pleins de petites fleurs roses tout autour du texte. Mais je peux dire, quand le blues n'est pas avec moi, la vie, c'est vraiment bien. Ma vie est vraiment bien.

Je vais à Artistic Academy.

Les nuages grisâtres et jaunâtres qui recouvraient le ciel donnaient un air apocalyptique au quartier londonien. Si les immeubles et les petits brasseries auraient été détruits, on aurait pu croire que la fin du monde était arrivée bien tôt. Sur une terrasse de notre café préféré,je sirote lentement un smoothie aux fraises. Mon amie, Kathlynn, juste à côté de moi, tape frénétiquement sur son téléphone avant de reprendre le petit dessin qu'elle avait entamé jusque là. Je sais qu'elle ne m'écoute pas, mais ça ne me dérange pas tant que ça, aujourd'hui. Peut-être parce que la nouvelle est dure à annoncer. Les grattements de crayon ne finissent pas. Je lui jette un coup d'œil. Elle est toute rouge et elle a l'air rudement concentrée. Ses cheveeux bruns aux relfets roux tombent en cascade sur ses épaules, ses grand yeux verts sont presque invisibles à cause des ses paupières mi-closes, tendues par la concentration. Elle est vraiment jolie, avec son haut drapé bleu azur et sa minijupe en denim noir. A côté d'elle, j'ai l'air vraiment pitoyable. On peut dire que j'ai un style de vêtement vraiment unique. Aujourd'hui, j'arbore un legging zébré de violet et une tunique totalement blanche. Mes Doc Marten noires ont vraiment la classe par contre. Beaucoup de gens n'apprécieraient pas mon style de vêtements, mais moi j'aime bien ce tout. Je modifie presque tout le temps les habits que j'achète, ou bien je fabrique moi même mes vêtements.

Kathlynn a l'air d'avoir fini son dessin. Elle paraît satisfaite, mais bien vite, ses sourcils se froncent et je devine qu'elle est en train de lyncher de nombreux défauts. Avant qu'elle ne déchire la feuille (je la connais depuis six ans déjà, et cette réaction de sa part face à ses croquis, c'est mon quotidien), je la lui prends des mains et admire son dessin. Elle est hyper douée, même si elle joue les fausses modestes à chaque fois qu'on la complimente. Ici, elle a terminé une princesse Disney, Belle, version bande dessinée. Ma chambre a un mur dédié à ces œuvres artistiques, tellement j'aime les admirer. Cela a le don de me distraire quand je révise mes maths, du coup, je suis toujours dans la chambre de ma sœur, Chloe, quand j'essaye d'apprendre mes équations.
Bien vite, elle me reprend la feuille des mains et la fourre dans son sac à main en cuir beige. Elle me regarde avec agacement, elle déteste quand je fais ça.

- Bon, tu vas m'écouter, maintenant ? je lui balance avant de reprendre mon verre de smoothie dans les mains.

- Quoi ?, elle grogne, énervée.

Pourquoi, il y a six ans de cela, j'ai dû prendre la plus associale de ma classe ? En fin de compte, Sophya était sympa elle aussi. Et elle m'écoutait quand je disais que j'avais toutes les pièces de ma collection de poneys arc-en-ciel.

- Je quitte Londres en septembre, whoho! , je lui déclare.

Peut-être que le whoho n'était pax nécéssaire, mais au moins, elle a l'air de réagir un peu à ce que je lui raconte. En une fraction de seconde, elle passe de l'agacement à la stupéfaction, puis à la peur. Cette fille est trop forte.

- Je... Quoi ?

Rectification. Cette fille est sourde.

- Bah je babaye bientôt d'ici, je vais à Artistic Academy, je répète avec calme.

Elle ouvre la bouche. Elle ferme la bouche. Elle la rouvre. Va-t-elle enfin comprendre ce que j'essaye de lui dire ?

Non, elle répond avec conviction. Impossible.

- Bah théoriquement si, c'est très possible, puisque le train sous la Manche existe et que j'ai l'argent pour... Et le talent ?, je réponds avec sarcasme.

Elle me jette un regard noir et je comprends que la phase de surprise est terminée.

- Mais... Pourquoi ?, elle me demande.

Cela fait des mois que je lui répète que je veux aller à AA car j'aime le théâtre. Mais, j'avais oublié que, les seuls moments où je lui racontais ma prochaine vie, elle était en train de dessiner. En clair, elle s'en fichait total de la fille qui était à côté d'elle et tout ce qui lui importait, c'était de finir la main gauche de Mario. J'aurais pu quitter la chambre en faisait un max de bruit possible, elle aurait même pas remarqué. Le pire, c'est que le Mario en question est accroché sur le mur de ma chambre maintenant et qu'il a les mains derrière le dos. On se demande pourquoi.

- Ca fait des siècles que je t'en parle ! Artistic Academy est une école d'art où on accueille des jeunes qui ont du talent. Bon, faut payer pour y aller, mais c'est pas un problème. Je vais faire du théâtre là-bas.

Parler d'argent me met mal à l'aise car Kathynn n'a pas les mêmes moyens que moi. Certes, elle n'est pas pauvre, mais la richesse de sa famille, à côté de la mienne, c'est la misère. Et je dis cela sans me vanter.

- Y a des écoles d'art aussi à Londres !, elle me déclare en me balaçant la carte de quelques établissements reconnus.

Elle doit souvent penser à son avenir en traînant tout ça dans son sac.

- Oui, mais c'est pas AA. C'est bien mieux là-bas! Tu sais qu'il y a une section pour les artistes du visuel comme toi ?, je la questionne.

Elle me regarde bizarrement, l'air de dire "Ouais c'est ça, et c'est toi qui me payera tout ça ?". J'ai vraiment envie de lui balancer l'argent pour qu'elle vienne, mais je pense déjà à la tête de Grand-Mère si elle voyait ça.

- [b] Mais pourquoi une école en dehors de Londres! Dis moi que c'est une blague!, dit-elle en criant presque.

Les gens du café commencent à nous regarder bizarrement. Kathlynn ne semble pas avoir remarqué qu nous sommes devenues le show de plusieurs spectateurs, alors je prends l'initiative de me lever. Elle me suit tandis qu'on jette en même temps de l'argent sur la table. Le surplus sera les pourboires.

***

Il a plu pendant qu'on marchait, Kathlynn et moi. Elle a crié pendant presque tout le trajet, et, j'ai du mal à l'avouer, c'est à soulagement de rentrer enfin à la maison, trempée comme je suis. Mais une surprise m'attend dans le salon. En ouvrant la porte, je trouve Grand-Mère assise sur un fauteuil en chintz, buvant du thé dans une tasse en porcelaine de Chine. En me voyant, je sais qu'elle hésite entre critiquer mes vêtements ou s'exclamer "Ma chérie!". Finalement, elle choisit une méthode plus subtile :

- Mais tu es trempée ! Va te sécher avant d'attraper un rhume, elle me dit.

On voit vraiment que notre famille sont les descendants de l'aristocratie anglaise, Grand-Mère parle comme si elle entamait la discussion avec la Reine d'Angleterre. Je m'exécute et, quand je reviens, je trouve maman assise avec elle. J'ai balancé le legging zébré dans mon panier à linge, avant de chercher un de mes vêtements spécial visite de Mrs Goldsmith. Une jupe plissé qui a la couleur des trottoirs mouillés de Londres et sa chemise qui va avec. Autant dire que je ressemble à un gros caillou humide. Grand-Mère non plus n'aime pas cette tenue, mais elle préfère me voir comme ça plutôt qu'avec une tunique blanche et des Doc Martens noires. Ma sœur Chloe est aussi en bas, ainsi que ma demie-sœur, Melody. Melody a tout juste dix-neuf ans et Chloe en a seize. Maman a eu Melody avec un vulgaire rôturier qui errait dans les rues de la ville, comme dirait Grand-Mère. Maman l'a rencontré dans un hôtel luxueux en Angleterre. Oh, il n'était pas un de ces ricos qui dépensent des milliers pour une nuit. Non, il était porteur de bagages. Comment cela a marché entre eux deux, je ne sais pas, mais ils étaient vraiment amoureux l'un de l'autre. Ils se sont mariés (sans cérémonie) et ont acheté (ou plutôt, maman a acheté) une maison à Londres. Bien sûr, Grand-Mère a tout fait pour empêcher le mariage, l'achat de la maison, mais elle n'a rien pu changer, en fin de comptes. Maman a eu Melody, puis un an après, ils se sont séparés et elle a rencontré quelqu'un d'autre. William était de bonne famille (aristocratie lui aussi) et vraiment très riche. Quelqu'un de très classe, poli et joli garçon en plus, disait Mrs Klara Goldsmith. Ils ont eu Chloe, puis moi. Ils ne sont pas séparés (heureusement!). Notre famille est un peu maniérée, sauf Grand-Père. Il est le contraire de Klara, pourtant, ils se sont aimés pendant longtemps, et leur amour dure toujours. Grand-père dirige une multinationale mais, si je n'avais pas été au courant, je ne l'aurais jamais deviné. Il va au bureau en basket, avec un jean, une veste de smoking rayé bleu et noir avec un papillon rouge, de la même couleur que ses chaussures. Il est trop cool, grand-père. Il m'a appris à faire plein de choses, d'ailleurs c'est lui qui m'a enseigné la couture. Grand-mère n'est pas du tout pareille, elle, elle s'habille tout le temps avec classe : vêtements de grands couturiers... Elle a toujours des manières que toutes les grandes familles anglaises possèdent. Maman lui ressemble vraiment physiquement (en plus jeune !) et mentalement, mais son côté bourgeoisie s'est baissé quand elle a rencontré Joseph (le gars aux bagages). Quant à mes sœurs, Chloe est normale, certes, elle ne s'habille pas comme moi, mais pas de jupes plissées ni de tailleurs mauve pâle. Par contre, Melody, elle, est le portrait de grand-mère. Sérieusement, je l'adore, c'est ma sœur, mais qu'est ce qu'elle m'énerve, parfois. C'est elle la fille de rôturier miséreux et sans grande influence sur la société, pourtant, je soupçonne Mamie de la traiter en princesse. Elle la complimente tout le temps (Et encore, tout le temps n'est pas assez fort), alors que moi, elle me jette des regards déséespérés. Pour Chloe, elle est fière, mais pas comme avec Melody. Mais je suis pas jalouse pour autant... Enfin d'accord, je suis quand même un peu jalouse.

- Superbe ton collier en perles, Melody, prononce grand-mère lorsque j'arrive. On aurait dit qu'il a été conçu pour toi, regarde-le sur ton teint...

Melody bombe le torse, de manière à mettre son trésor en valeur. Pas vraiment l'effet escompté : elle ressemble plus à un signe de Bornéo qu'à une princesse de contes de fées. J'étouffe pas vraiment discrètement un éclat de rire et Klara pose sur moi ses yeux bleus électriques.

- Oh, toujours ce vieille ensemble grisâtre, Ileona, dit grand-mère en me dévisageant. On aurait dit qu'il a été cousu à partir du bitume de la ville.

Melody explose de rire et ma mère sourit. Rah, je déteste quand elle fait cela. Mais, à vrai dire, elle a raison.

- Bon, arrêtons les bêtises, maintenant, dit grand-mère avec un air dédaigneux. Violett m'a dit que tu partais à Artistic... Artistic... Artistic College ?

Depuis quand s'intéressait-elle à ma vie ?

- Oui, septembre prochain. Et c'est Artistic Academy.

- Oui, oui, c'est cela, elle me répond en balaçant sa main au dessus du sofa.
Waoo. Je n'ai reçu qu'un mauvais commentaire aujourd'hui, et en plus, grand-mère a posé une question sur mon avenir. Un miracle ?

***

Il pleut. Septembre. Ma valise rouge à mes pieds, je regarde l'immense bâtiment qui s'offre à mes yeux. Un sentiment de peur et d'excitation naît en moi.
D'un pas, je franchis le seuil de la porte.

Cher journal,

Il fait beau aujourd'hui! Bon, je ne suis pas vraiment venue parler météo avec toi. Je viens finir ma petite phase de présentation. Cette fois-ci, ça sera sur mon physique.
Bon, tout d'abord, je suis de taille moyenne. Enfin, pour mon âge, je pense que je me situe à peu près dans la normale. Je crois. J'ai des yeux bleus que je tiens de ma grand-mère, des longs cheveux blonds, mais ça c'est de famille (sauf Chloe, elle, elle a des cheveux bruns avec des mèches plus claires). Je suis plutôt mince, d'ailleurs, mon amie m'a déjà conseillée de faire mannequin plus tard (mais moi, j'ai d'autres projets en tête). Pour les habits, mon style est bien varié, en fait, c'est un peu du n'importe quoi mélangé avec une autre sorte de n'importe quoi. Pour certaines personnes, je fais des erreurs de goût intolérables, mais moi, j'aime mon style. Bref, d'un point de vue d'un inconnu, je pense qu'il ne me jugerait pas abordable du tout. Du point de vue d'un proche, par contre, c'est tout autre! Je n'ai pas vraiment de marques distinctifs, pas de tâches de rousseur, ni de grains de beauté (à part sur la nuque, mais il est pas voyant, à cause de mes cheveux). Bon, voilà. Ah. Et je suis une fille (On sait jamais, vaut mieux préciser, peut-être que les futurs êtres humains trouveront mon journal et je deviendrai une star de l'écriture sans le savoir).