Traînant dans le jardin dans l'après-midi, Antarès se régalait les yeux et l'esprit, profitant de l'air pas trop froid et du rare beau temps. Il s'était habillé entièrement en noir, chose très inhabituelle chez lui, et qui faisait énormément ressortir ses longs cheveux roux.

Dessiner des natures mortes. Le professeur d'arts plastiques voulait que la classe s'amuse à sketcher tout ce qui passaient sous les yeux, pour s'entraîner à savoir dessiner un peu tout n'importe quoi. Et Antarès aimait les fleurs, alors il s'était dit qu'il allait faire un petit tour dans les jardins histoire d'en cueillir deux ou trois et les faire sécher dans sa chambre. Déjà parce qu'après avoir rempli des pages et des pages d'objets quelconques tels des chaises et autres tasses de thé, il avait envie de passer à autre chose, et puis aussi un peu parce que ça faisait longtemps que le bouquet de fleurs séchées à côté de son lit étaient beaucoup plus que séchées, et qu'il était grand temps qu'il les change. C'était quand même une chance pour lui d'avoir un aussi beau parc à disposition pour ce genre de choses, les jardiniers faisaient vraiment du bon boulot.

Antarès prenait un malin plaisir à examiner chaque fleur qui lui tombait sous la main, même s'il n'avait pas prévu au départ de ramasser celles-ci en particulier. Il les détaillait presque scientifiquement, afin de mieux retenir leur forme, leur couleur, l'agencement de leurs pétales, au cas où il aurait envie plus tard de les peindre sans sortir de sa chambre. Et comme il savait que sa mémoire ne suffirait sûrement pas à garder tout ça, il avait apporté avec lui un petit carnet de croquis (faute de prendre sa grande pochette encombrante) et un simple crayon, qu'il glissait dans ses cheveux relevés en demi-chignon négligé quand il n'en avait pas besoin. Au moins, il était sûr d'avoir une trace de tout ce qu'il aurait vu cet après-midi, vu qu'il avait une fâcheuse tendance à oublier tout et n'importe quoi, du petit détail au grand évènement important à ne surtout pas rater.

On ne se refait pas.

Antarès allait retirer le crayon de ses cheveux pour croquer un hibiscus au hasard, mais il se rendit compte que quelqu'un s'était approché de lui. Quelqu'un qu'il n'avait encore jamais vu dans l'établissement d'ailleurs, et qui visiblement semblait soit perdu, soit gêné ou embarrassé. A moins qu'il soit gêné d'être perdu ? C'était une hypothèse à considérer, vu la posture dans laquelle il se trouvait. Il donnait l'impression de ne pas réellement savoir ce qu'il faisait ici, et aussi de n'avoir aucune idée de comment se mettre et quels mots choisirs. Si encore il voulait lui adresser la parole et n'était pas simplement là pour l'observer. Il prit un visage et une voix un peu timides tout en se passant la main dans le cou, et lui demanda où étaient les salles de cours habituelles. Quelles salles de cours habituelles ? Les salles générales, où on pouvait apprendre tout ce qui n'était pas lié à la maison dont on faisait partie, ou alors les salles qui au contraire, faisaient partie de l'enseignement particulier suivi par l'élève (et qui, par conséquent, pouvaient sembler "habituelles" pour toutes les personnes faisant partie de cette catégorie) ? Antarès réfléchit un peu à la question, avant de se dire qu'en toute logique, il parlait sûrement des salles des matières générales, sinon il aurait sûrement commencé par lui demander de quelle maison il faisait partie, ou alors il aurait précisé la sienne. Toujours avec son air et sa voix aussi habituellement inexpressifs, il répondit :

"Elles sont dans le bâtiment central, tu l'as passé il y a une centaine de mètres si tu viens de la cour intérieure. "

Avant de se concentrer sur la partie physionomique de la personne qui se tenait en face de lui, Antarès se détacha les cheveux, il n'appréciait pas vraiment le vent un peu frais dans sa nuque. Il put maintenant commencer à le détailler : l'inconnu était plutôt grand à première vue, et également d'apparence assez carrée malgré les vêtements qui couvraient ses épaules, et donc sa corpulence. On pouvait facilement deviner qu'il n'était pas spécialement maigrelet, bien au contraire. Et concernant la nature de cette même corpulence, sachant qu'il avait un visage assez fin et anguleux, il était possible d'en déduire que ça ne risquait pas d'être de la graisse. Donc oui, effectivement, il était possible de comprendre que ce jeune homme était foutrement bien taillé, ce qui contrastait plutôt avec l'impression qu'il avait donnée à Antarès lorsqu'il s'était adressé à lui. On pouvait aussi dire que les deux énergumènes qui venaient de se rencontrer étaient assez radicalement opposés physiquement, l'un, brun, de grande taille et de bonne composition, et l'autre roux et chétif, presque trop féminin.

Est-ce que ce gars allait partir ? En tout cas, il en avait l'air, mais d'un côté, on avait dit que quelque chose le retenait ici. Et surtout, il avait l'air complètement perdu. Est-ce qu'il savait au moins où se trouvait le bâtiment central ? Il avait reculé, puis il s'était arrêté pour faire du sur-place pendant quelques instants, et maintenant, il revenait vers lui. Incompréhension totale. Antarès se demandait bien ce qui pouvait lui passer par la tête à ce moment là. "Bon bah merci et euh à plus tard", ah oui, d'accord. Cette situation était vraiment embarrassante, c'était la première fois qu'on lui faisait autant de bordel pour demander où se trouvait une salle. Mais naturellement, il ne montra aucune émotion particulière, et se contenta de se comporter comme un robot, comme d'habitude.

"De rien, bonne journée. "

Puis, décidant de ne pas trop s'attarder plus que ça sur ce cas (après tout, peut-être que cette personne était tout simplement fatiguée, oui ça devait être ça), Antarès se remit dans sa contemplation florale, comme si rien de toute cette conversation n'avait jamais eu lieu, et comme si il n'y avait eu aucune action embarrassante ; à vrai dire dans cinq petites minutes il aurait sûrement déjà oublié ce singulier (ou peut-être pas tant que ça) évènement et il serait passé à totalement autre chose, comme d'habitude. Peut-être qu'il le croiserait de nouveau, un jour, et qu'il se demandera alors où il l'avait déjà aperçu.