Lexy McKinon

« C'est l'endroit où l'eau est la plus profonde qu'elle est la plus calme. »
- René Descartes

Le Lac aux Cygnes est un endroit époustouflant. Avant de créer cet lieu, Dame Nature a dû se dire qu'il lui fallait un terrain sans bruit. Un emplacement pour faire taire les Hommes, les laisser sans voix face à la beauté qu'elle peut façonner. Si tel était son but, elle l'a parfaitement atteint. Imaginez un miroir posé sur le sol. Ce miroir est si pur que le ciel se reflète parfaitement dedans, chaque nuage est reconstitué de manière exacte. Cette glace qui nous renvoie le monde est habité par des créatures féériques, imaginaires, belles et étranges, toutes en finesse. Venir ici équivaut à entrer dans le rêve d'un enfant, un rêve paisible, plein de sérénité. Chaque pousse à trouver sa place dans le paysage, et le tout forme un ensemble si harmonieux que même les Baudelaires en perdent leur mots. Je viens m'asseoir ici, juste pour oublier quelques heures tout ce qui m'entoure, pour oublier un peu tout ce qui compte. Pour n'être plus qu'une feuille sur un arbre. Une jeune fille a décidé de faire comme moi. Elle est quasiment allongée, dans l'herbe, les yeux fermés. Je l'observe. Qui vient faire cette fille ici ? J'imagine un instant son histoire, sa vie, ses souvenirs, ses sentiments, ses passions, ses secrets, ses peurs. La fille me sort de mes pensées en se levant. Elle fait une courbe avec son bras droit, puis le fait retomber. Sa jambe gauche se lève et tourne autours de sa hanche. Elle reste un instant dans cette position, puis elle semble partir. Son corps se met à virevolter, tourner sur lui-même, elle saute, enchaîne les mouvements gracieux et agile, bondit, se courbe, se redresse, ondule... Elle n'est pas dans la danse, elle est la danse. Elle est en harmonie avec ce qui l'entoure. Je me sens une bouffée d'inspiration, et le texte d'une de mes pièce favorite me revient. Les mots sortent tous seuls de ma bouche.

« Car tu rayonnes dans cette nuit, au-dessus de ma tête, comme le messager ailé du ciel, quand, aux yeux bouleversés des mortels qui se rejettent en arrière pour le contempler, il devance les nuées paresseuses et vogue sur le sein des airs ! »

Je m'arrête brusquement dans ma lancée, voyant que la fille s'approche. M'a-t-elle entendue ? Je n'espère pas, elle pourrait se méprendre sur mes paroles. Mais elle me salue avec un sourire, que je lui rend.

« Tu danses magnifiquement bien. »

Lexy McKinon a écrit:

« Tu danses magnifiquement bien. »

Lexy McKinon

« La danse est une poésie muette. »
- Simonide de Céos

La jeune fille s'assoit à côté de moi, souriante et rougissante. Elle entreprend de s'attacher les cheveux, ce qui ne doit pas être une mince affaire avec la crinière qu'elle a. Sa longue chevelure rousse bouclée retombe en cascade sur ses épaules, et chaque mouvement de sa tête fait bouger son incroyable tignasse. Je me passe la main dans les cheveux en la regardant se débattre avec sa touffe. Je n'ai pas ce genre de difficultés, même si des fois, ce ne serait pas plus mal. Je suis l'éternelle fille aux cheveux courts, qui a toujours les rôles de garçons, comme ma tirade vient de le prouver. Je suis Roméo en bas du balcon... et j'aimerais parfois être plus dans la foule. La fille semble connaître un petit peu de quoi je parle, puisqu'elle me lance.

« Merci, c'est gentil. Tu es une Molière je suppose ? »

Bingo Sherlock ! Je suis une actrice ! Je suis de ceux qui savent pleurer et rire sur commande, qui peuvent entrer dans la peau de n'importe qui pendant quelques heures, de ceux qui peuvent jouer n'importe quel sentiment, de l'amour à la jalousie, pourvu qu'on leur demande, de ceux qui se déguisent pour prendre le rôle d'un autre, de ceux qui savent parfaire milles émotions en quelques secondes. Pourtant, mon soit-disant talent n'est rien à côté de ce que j'ai vu cette jeune fille faire au bord du Lac. On dirait une déesse marchant sur un miroir. Il ne fait aucun doutes que c'est une élève de l'Académie, une Cygne. Elle a deviné que moi aussi, je suis une artiste. Comment le remarque-t-on chez moi ? Aucune idée, je suis assez quelconque.

« Oui, je suis une actrice. Tu es la nouvelle des Cygnes ? Comment tu t'appelles ? »

Lexy McKinon

« Certains mots peuvent en cacher d'autres. »
- William Shakespeare

La rousse se mord les lèvres et lève les yeux vers le ciel. Elle hésite ? Je lui ai juste demandé son prénom, c'est pas comme si c'était un débat sur le temps d'infusion du thé ! Pourquoi se demande-t-elle si elle va me le dire ? Ai-je l'air... féroce, méchante, indigne de confiance ? Ce doit être les cheveux courts, c'est un peu étrange sur une fille... Des fois, dans les restaurants, on me demande même si je suis une fille ou un garçon, et je subis régulièrement des moqueries dans la rue. Il ne faut pas répondre à ces provocations, je le sais, mais j'ai un pincement au cœur quand j'entends ça. Voilà une des raison pour laquelle, des fois, je rêve d'une longue chevelure éclatante, comme celle de la fille qui me fait face. Je voudrais avoir l'air plus normale, et plus jolie, comme elle. Ce n'est pas pour rien que c'est une Cygne, elle a un corps très bien proportionné et une grâce qui hante qui chacun de ses gestes. Elle me sourit, et se décide finalement à me répondre.

« Je suis bien la nouvelle des Cygnes. Et je m'appelle Siobhan, et toi ? »

Elle se secoue dans tous les sens, elle a sûrement envie de danser. Je sais qu'improviser n'est pas une chose facile, en danse et en théâtre. Elle ferme les yeux, et se concentre. Ses paupières ne sont pas plissées, comme si elle se forçait, mais sont fermées de manière naturelle, une manière qui évoque le calme et la sérénité. Elle semble en harmonie avec tout ce qui l'entoure. Elle sait ce qu'elle va faire. Elle se lève d'un pas aérien, et fait quelques pas. Elle lève une jambe, un bras. Puis elle rouvre les yeux et me regarde, semblant attendre ma réponse. Je lui sourit à mon tour.

« Lexy McKinon. »

Elle me fait penser à une citation de Shakespeare, extrait d'Hamlet. Je ne me souviens pas qui la dit, mais je me rappelle que c'était un gars du nom d'Hadley qui le disait. Je ferme moi aussi les yeux, cherchant mes mots, ou plutôt ceux de ce cher William.

« « Fragilité, ton nom est femme ! » »

Lexy McKinon

« La sérénité est une conquête. »
- André Maurois

« Enchantée Lexy. »

Son visage s'illumine. Elle est transformée. Son visage, il y a quelques secondes pensif et souriant, est à présent plein de calme et de sérénité. Elle me fait penser à une madone de l'âge d'or de Venise, ou à la Joconde, la Mona Lisa. Son visage est le miroir d'un calme olympien, assorti d'une gentillesse qui dépasse les limites. Tout en souriant, elle se mord légèrement la lèvre inférieure, semblant chercher ses mots. Ma réplique a due la déconcerter. C'est normal, pour quelqu'un qui n'est pas Molière, d'être un peu perdu dans les répliques et les citations de théâtre que je peux sortir, comme ça, sans raison apparente

« Pardon ? »

Évidemment, Lexy, qu'elle n'a rien compris ! N'importe qui t'aurais pris pour une folle et aurais foutu le camp au plus vite ! Elle se contente de passer une main gênée dans ses cheveux, comme si elle était en faute. Je suis estomaquée. C'est moi qui ai sorti une remarque tout à fait, stupide, spontanée, déconcertante, et c'est elle qui semble en faute. Cette fille doit être la gentillesse incarnée. Je lui souris, et je suis parcourue par un petit rire. Elle ne doit pas comprendre ce qui lui arrive, et c'est parfaitement normal avec moi ici.

« Je disais : « Fragilité, ton nom est femme ! ». En fait, je pensais à toi en disant ça. Tu es d'une grâce incomparable, et tu es toute fine. Tu as l'air fragile. C'est pour ça que je disais ça. »

Je la regarde un instant, en espérant qu'elle ne s'enfuit pas en courant. Puis, en tout acteur qui se respecte, je cite ma référence.

« C'est un vers tiré de Hamlet, une pièce de Shakespeare. »

Lexy McKinon

« L'amitié, c'est la fidélité, et si on me demandait qu’est-ce que la fidélité ? Je répondrais c'est l'amitié ! »
- Julio Iglesias

« Merci beaucoup, ça me touche... Hamlet ? Je ne connaissais pas... Désolée. »

Je lui souris. Elle rougit souvent, Siobhan. C'est normal, elle est intimidée, tous le monde est intimidé par moi ! Nan, sérieusement, c'est normal, elle est toute nouvelle, et j'étais intimidée face aux grands bâtiments, et aux étudiants plus âgés chahutant dans les couloirs. Je doit être une de ses premières connaissances, une de ses premières... amies ? Je ne la connait pas forcément assez pour la considérer à présent comme une amie, mais ça pourrait s'arranger.

« Comment tu as atterri ici ? D'où viens-tu ? »

Je me mords les lèvres juste après avoir dit cette phrase. Elle va me retourner la question. Et c'est une question à laquelle je ne veux pas répondre. Il faut inventer quelque chose, une autre histoire, et la dire sans sourciller. Je suis une actrice, tout lui réciter avec le sourire va être un jeu d'enfant. Ensuite, se construire une enfance... C'est pas plus dur qu'un cours d'impro. Je dois m'inventer une vie... Bon, je suis née en Angleterre, à... Liverpool. Je n'ai jamais quitté Liverpool, j'y ai vécu avec ma famille jusqu'à mes... onze ans. Après, je suis venue vivre à Lorient car... j'étais dans un lycée français et il fallait que je me perfectionne. Et je suis tombée par hasard sur l'Académie, et vu mon don pour le théâtre, ils m'ont acceptés. Je ne vois pas mes parents parce que... ils en profitent pour voyager. Voilà, j'ai ma vie qui défile devant mes yeux. Une vie heureuse. Une vie que j'aurais aimé avoir. Et maintenant, il reste à attendre la réponse de Siobhan.