Comme je me lasse de ces jours pluvieux, ces jours humides qui vous obligent à porter des collants épais, qui ne sont pas confortables... Bon, d'accord, j'ai tout de même une paire qui me plait et que j'ai mis aujourd'hui : les noirs, bariolés de roses rouges sur tout le long, avec une petite robe noire en dentelle, agrémentée de mes habituelles rangers noires et de ma veste en cuir rouge. On va dire que mes tenues m'aident à tenir le coup, et mes cheveux aussi. Tout ça parce que le matin au moins, pendant les vacances, j'ai le don de passer des heures à clipser mes mèches dans les cheveux et ce matin, pour ne pas faire tâche, j'ai choisi les rouges. Et grâce à tout ça, je sais que je vais rencontrer des gens, et que ma journée va être bien remplie et plaisante.

En parlant de cela, je suis déjà en route. On va dire que tourner en rond à l'heure du goûter dans sa chambre n'est pas fort agréable. J'avais envie de me balader, alors oui, j'ai délaissé l'académie un moment pour me diriger vers le centre-ville qui n'est pas très loin. Une fois arrivée, j'ai pris le temps de faire les boutiques et... croyez-moi, je n'ai jamais vu de pareils vêtements ! J'ai donc refait gentiment ma garde robe, été dire bonjour aux poissons, aux chats, aux perroquets et au reste avant de continuer ma route, les bras remplis de sacs de toutes marques. Mais ce n'est pas tout. Après ce moment shopping j'ai décidé de faire une petite pose. Mon dos n'en pouvait plus, et mes jambes souffraient le martyr.

C'est alors que j'ai remarqué ce café, souvent fréquenté, et que je me suis redue compte que sa façade m'avait toujours attirée mais je n'avais jamais eu le culot d'y rentrer. Aujourd'hui, j'ai brisé le code. C'est avec un "bonjour" très jovial que je me suis infiltrée à l'intérieur, sous le regard perplexe de la dame qui était au bar. J'ai rougi, bien entendu, puis je me suis approchée pour demander deux pains au chocolat et une tasse de café bien bouillante. Une fois que j'ai eu et payé ce que je souhaitais, je me suis rendue compte que la salle était remplie. En effet, la pluie avait précipité les clients à l'intérieur. Je fouillais donc du regard avant de... Je me figeais, toujours avec un grand sourire aux lèvres, avant de voir qu'il restait une place libre à la table d'un garçon vraiment différent des autres. Son look me plaisait. C'est donc sur cette belle pensée que je me suis approchée, avant de poser mes sacs par terre et mon plateau sur la table, puis mes fesses sur la chaise. Ma bonne humeur ne me quitta pas d'une semelle lorsque je lançais, gentiment :

-Salut ! Je peux m'installer ? On va dire que la salle est légèrement pleine aujourd'hui.

Lorsqu'il releva les yeux, son regard me percuta aussitôt. D'un brun  exceptionnel, ils ne faisaient que faire ressortir un peu plus son côté brute de pomme donné par son look. D'ailleurs, j'avais remarqué que lui aussi portait des rangers. C'est également pour cela que j'étais heureuse. Je commençais à me dire, "enfin quelqu'un comme moi !" après tout le temps passé dans l'académie. Il avait la fourchette figée dans le temps et dans l'espace, à quelques centimètres de sa bouche qui esquissa tout de même un chaleureux sourire. Je soupirais enfin, rassurée de voir que finalement cet homme était sans dangers et plutôt agréable à regarder par temps de pluie. Sa fourchette se posa délicatement sur la table, à côté de son gâteau.

- Je t'en prie. me lança-t-il.

Bon, j'étais déçue, j'avoue, de voir qu'il n'avait que ça à me lancer quand j'arrivais. Je saisis donc mon pain au chocolat pour en croquer un morceau tout en e regardant. Après l'avoir mâché, je me mis à réfléchir sur ce que je pouvais dire pour briser le silence, malheureusement déjà inexistant à cause du bruit de fond de la salle, mais bien présent entre l'inconnu et moi. Je me décidais de dire quelque chose de plutôt banal, histoire de le mettre en confiance face à une fille si étrange et débordante d'énergie. Après tout, cette fille qui est moi s'était installée par manque de place, mais toujours souriante, elle avait besoin d'entendre les gens parler, elle avait besoin de parler pour exprimer toute sa joie et sa bonne humeur.

-Je m'appelle Memory. Je suis dans la maison Baroque de l'Académie juste à côté, tu devrais la connaître non ?

Une fois cette banale question posée, je m'amusais à faire tomber mon sucre dans le café avant de touiller de façon monotone le contenu de cette belle tasse. Elle me rappelait légèrement celle de la Belle et la Bête. Elle était petite, blanche, avec une anse délicate et une bordure imitation dorée. Je la trouvais magnifique. Mais ce qui m'interdisait de penser que je n'étais pas dans un conte de fées était le fait qu'elle soit intacte. Je m'amusais donc à la faire tourner sur elle même, soudainement perdue dans mes pensées.

Au final, je suis comme cette tasse. Une personne parmi tant d'autres. Qualifiée originale grâce à son look, et au final quand on creuse un peu et qu'on apprend à la connaître, on remarque qu'elle n'est pas différente des autres. Elle essaie juste, pour sortir du lot et plaire un peu, mais rien de plus. A cette pensée, je lâchais un sourire mélancolique, puis je relevais ensuite les yeux vers ce garçon, qui était tout autant que moi la métaphore des tasses. Il ne fallait pas que je le laisse filer tout de suite. Il fallait qu'il reste, de un parce qu'il va être trempé s'il va dehors, et de deux parce que ça me fait plaisir de rencontrer d'autres personnes en dehors de l'académie. C'est après mon petit silence que je demandais :

-Tu n'es pas là depuis très longtemps, je me trompe ?

Le temps m'ennuyait royalement, mais pas lui. Certes, je venais de sortir de ma torpeur et de mes pensées, il s'était replongé dans son livre et il n'était pas bavard, mais peu importe. Sa compagnie calme était finalement agréable. J'en avais pas mal ras le bol des gens qui courraient partout, avec la même énergie que moi. Et je ne pourrais dire comment mais le fait d'être assise en face de cet inconnu me réjouit et me calme. Il n'a rien pour me stresser, il est juste là, il se fond dans le décor et dans le public. Lorsque sa voix résonne, je suis frappée qu'il puisse dire autant de mot à la suite. Oui, vraiment.

- Tout Juste, je viens d'arriver à l'académie. Aiden, maison Molière. Enchanté.

Je hoche machinalement la tête en réfléchissant. Aiden. Je trouve que c'est joli comme prénom. Dans ma tête, ça sonne juste, un peu comme une mélodie. Agréable à prononcer, harmonieux à entendre. C'est doux, mais à la fois ça laisse un peu de mystère sur la personne. Ce gars commence à me plaire, vraiment, bien que d'habitude je ne suis pas aussi bavarde avec les garçons. C'est la pluie qui doit me faire ça, oui, ce doit être le mauvais temps...

-Molière ? Les comédiens c'est ça ? Dis-moi, je pourrais venir te voir jouer un jour ? Je suis plutôt dans le genre curieuse, et ça m'apportera un peu de divertissement et d'idées pour mes dessins.

Je lui souris encore, me montrant le plus amicale possible. Il m'intrigue, que dire de plus ? Avant je ne croisais que des gens normaux, dont certains parlaient autant que moi. Ils portaient des tee-shirts de type banal, des cheveux seulement bruns lâchés sur les épaules, des chaussures que l'on voit à tous les coins de rue. Je suis encore sous agréablement surprise de voir qu'on nouveau au look comme moi ait rejoint l'académie. Alors oui, je trouve que ces raisons sont suffisantes pour que je puisse m'intéresser à un garçon. Je suis libre sans vraiment l'être. Libre de parler de ce que je veux à qui je veux. Je lance alors pour rendre l'idée plus attrayante :

-Si tu veux, en contre-partie je te montrerais certains de mes dessins.

J'ai vraiment envie de faire découvrir mon art, encore à moitié incompris. Le dessin est utile pour chaque conception d'objet, de vêtement, de nouvelle coiffure. Il peut aussi bien illustrer l'art des Molière que l'art des Cygnes, ou des autres maisons. Je travaille actuellement sur un projet de dessin qui réunirait chacune des maisons en plusieurs personnages, tous reliés par quelque chose. Un peu comme des pantins manipulés, mais qui, si on défait un fil, se perdent. L'académie est un tout, les personnes qui y travaillent doivent rester ensemble si elles veulent continuer d'avancer dans le droit chemin.

[/quote]

Par son sourire je devine qu'il est ravi que je puisse proposer cela. Je le regarde, lui et son sourire parfait. Est-ce mal de penser cela ? Je hausse les épaules, puis je continue mon premier petit pain au chocolat après une goutte de café, sans le quitter des yeux et lui non plus. C'est la phase d'observation à laquelle nous sommes tous tenus au départ de nos relations, sans quoi nous serions contraint de parler sans aucune émotion. Nous avons tous besoin de regarder et de scruter les autres pour avoir un premier avis. Cette idée me plait.

J'étais comme une enfant qui avait envie de sautiller sur place lorsqu'il accepta ma proposition. Mon sourire était d'autant plus grand, mon bonheur ne me quittant pas. Cette journée pluvieuse me plaisait. J'adorais cette journée ! J'étais complètement euphorique, je n'aurais pas du prendre un café, car je sens que le pire reste à venir. En effet, à cause de gigoter dans tous les sens, en voulant prendre mon café j'en ai renversé sur ma table et... Sur mes genoux. Je me suis mordu la langue pour me taire puisqu'il était bouillant, et je me levais aussitôt en répondant à sa phrase :

-Eh bien moi ce ne seront pas des conseils sur comment boire du café que je te donnerais !

Je rigolais puis attrapait vaguement des mouchoirs pour m'essuyer, affolée. Je regardais alors mes sacs et j'en saisissais un, puis je lui lançais que je revenais, il fallait que je me change. C'est donc avec une grande rapidité que je me permettais de laisser mes affaires pour aller aux toilettes, avant de revenir avec le sac de vêtements trempés de café. Je lui souriais en revenant, puis m'asseyant avec une grande prudence, mes joues empourprées à cause de l'évènement.

-Excuse-moi de t'avoir abandonné deux minutes. Je pense que tu pourras vite te rendre compte de ma maladresse.

Ce garçon était vraiment différent des autres. Rien qu'à son sourire et ses manières je voyais que c'était un mec bien, fidèle à ses paroles, très calme et agréable à regarder. Je ne le connaissais pas tout à fait mais rien que cette rencontre me réjouissait. Était-il présentement en train de croire la même chose de moi ? Non, je ne pense pas. M'enfin, je ne pourrais jamais le dire. C'était comme ça, chacun ses pensées pour toujours mieux se porter. Et puis en m'asseyant, je remarquais un autre café à ma place. Je rougissais de nouveau avant de relever les yeux vers lui.

-Merci pour ce café, ce n'était pas la peine.

Je le pensais. La caféine n'allait faire qu'empirer mon état. J'allais être d'autant plus énervée et on va dire que j'avais fait assez de dégâts aujourd'hui. Malgré tout, je saisissais déjà la tasse en la portant à mes lèvres, les yeux rivés sur les siens. Sa première remarque me fit rougir. Mignon ? Ma réaction était mignonne ? C'est sûr, il était en train de me draguer et de me faire fondre comme du sucre dans un café ou un glaçon au soleil ! J'étais tellement gênée que je ne savais plus quoi dire. Machinalement je reposais la tasse devant moi, doucement pour ne pas la renverser.

- D'ailleurs, je préfère cette tenue, si mon avis t'intéresses. Elle te va à ravir, lança-t-il sans cesser de sourire.

Je me tapotais machinalement les joues pour tenter de les refroidir, bien que je sache que cette tentative était vaine. Visiblement, je ne m'attendais pas à ce qu'il devienne aussi joyeux et flatteur d'un coup. J'ignore si je préfère son silence accompagné de ses sourires ou bien ses compliments qui me vont droit au cœur. En vérité, c'est parce que je ne les avais pas entendues depuis longtemps. Seul mon meilleur ami voyait en moi cette personne adorable, mignonne et jolie, d'après ce qu'il me disait. Et moi j'étais là à tenter de lui prouver le contraire. Pourtant, Aiden n'est pas mon meilleur ami, je n'ai pas à me permettre de contredire un inconnu. Je me contente donc de sourire en le remerciant, puis je baisse les yeux sur le café qui brille de mille feux, telles des étoiles brillants dans la nuit.

Je gardais donc le silence un petit moment, avant d'oser le regarder de nouveau. J'avais envie de dire tellement de trucs mais ma gêne n'était pas suffisamment partie. Le silence qui l'avait précédemment habité était désormais en moi. J'ouvrais les lèvres pour dire quelque chose mais au dernier moment je retins mes mots avant de finir mon pain au chocolat, sans pourtant oublier sa présence. J'ai envie de fuir et de retourner à l'académie, mais je ne le fais pas. Avant, oui, je l'aurais fait. Mais j'ai changé. Je dois cesser de laisser les mecs me filer entre les doigts. Je dis alors quelque chose que jamais je ne croyais avoir le courage de dire avec un grand sourire amusé :

-Ton look te va à ravir. Même sans robe, je t'assure !

Je suis nerveuse, j'attends sa réaction. J'ai peur qu'il ne s'en aille en courant, qu'il me hurle que je suis une abrutie de première et que je ne mérite pas tout ça, ou bien que plus jamais je ne devrais l'approcher. Mes mains en tremblent, mon regard pétillant le fixe, encore et encore, détaillant les courbes de son délicat visage, la teinte de ses pupilles sombres, ses cheveux soigneusement noués pour dévoiler les côtés rasés de son crâne, et enfin le reste de son gâteau au chocolat dans son assiette. Je retiens ma respiration, jusqu'à ce que...

- Moi qui avait hésité à mettre ma robe en flanelle, me voilà rassuré !

Il a seulement un peu écarquillé les yeux, puis il m'a regardé de façon amusé. Je laissais donc l'air revenir à mes poumons en souriant, rassurée de voir qu'il l'avait pris à la rigolade. Tellement de mecs auraient voulu me taper dessus pour les avoir imaginé en robe... Heureusement, Aiden ne semble pas comme les autres. Comme je l'ai remarqué avant, c'est un garçon différent, calme, adorable qui ne demande qu'à être approché par les autres, afin de mettre fin à son silence et son regard de marbre. Je rigolais à mon tour.

-En flanelle ? Monsieur a de bien bons goûts en matière de tissu, dis-donc !

Je hoche la tête, convaincue puis je regarde l'heure. Il est déjà tard. Je soupire, déçue et je lève les yeux vers lui, pour la énième fois de l'après-midi. Je termine tranquillement mon café et mon dernier pain au chocolat, avant de réfléchir.

-Dis-moi, ça te dirait qu'on se revoit bientôt ? Une petite promenade genre demain, pour un pique-nique au parc ? Je suis désolée, je dois rejoindre des amis pour mon projet de dessin. Alors ?

Je souris, et je stresse d'autant plus qu'avant. Ce n'est pas dans mon habitude de demander à quelqu'un que je ne connais pas de venir manger avec moi le midi dans un parc merveilleux. Mais j'ai également une autre idée derrière la tête. C'est un personnage qui m'inspire, un lieu magique qui m'inspire également, je ne peux donc pas laisser passer l'occasion de pouvoir dessiner un tel visage rayonnant lorsqu'il sourit. Oui, mais ça, je lui en réserve la surprise pour demain, à condition qu'il veuille bien venir avec moi, Memory, la fille bizarre Baroque.

Je voyais dans ses yeux la passion pour le théâtre. La même passion qui m'animait pour le dessin, et cela me faisait plaisir. J'étais pressée de pouvoir le voir jouer. J'étais pressée de savoir quel genre de personne il était au fond de lui, bien que je devine un garçon gentil et totalement attachant. Je m'imaginais déjà être demain avec lui, dans ce parc merveilleux à détailler son détail pour le dessiner. C'était magnifique, génial. Je pouvais déjà voir chacun des traits de son doux visage sur le papier, le redessinant à la perfection. J'en rougis même, à cette idée.

Son sourire et ses yeux relevés vers moi ne firent qu'accentuer ma gêne. Mes joues me brûlaient déjà, j'avais les mains moites et mes jambes s'agitaient lentement dans le vide. Même si je ne le vois que comme un potentiel très bon ami, il arrive à me mettre mal à l'aise, de façon plutôt étrange mais pas tellement désagréable. C'est un peu le comble pour Memory Friday King, eh oui. Fichue dès le premier regard. Déjà envoûtée, hors d'elle. Sa timidité ne faisant que ressortir un peu plus à chacun des mots que l'on pouvait lui verser.

- C'est une bonne idée, pourquoi pas.

Dans ma tête, je suis déjà en train de hurler de joie, de sautiller sur place et de faire un twerk face au mur. Ouais, stupide. Mais bon, faut bien savoir se réjouir un petit peu, surtout quand c'est confirmé. Et je le sais parce que je le remarque dans le brillant de ses yeux sombres. Et puis, sa seconde phrase me le confirme d'autant plus :

- On se donne rendez-vous à l'entrée du parc alors demain alors ?

Je souris, puis je décide de me lever et je regroupe les miettes de mon goûter sur le plateau, avec le papier qui a épongé mon café. Je vais rendre le plateau à la dame puis je reviens. Je remets ma veste et je hoche la tête. Je saisis malencontreusement tous mes sacs :

-Alors je t'attendrais, ou bien l'inverse. A demain.

Je lui lance un clin d’œil puis c'est à contre-cœur que je m'empêche de lui faire la bise, pour ne pas le déstabiliser. Je m'en vais lentement vers la porte, déçue de devoir déjà partir. Une fois à la porte, je m'arrête. J'hésite de nouveau, puis je lâche un soupir rassuré. La pluie s'était finalement un peu arrêtée. Avant de franchir la porte, je me permets de me retourner pour lui lancer un dernier sourire et enfin je disparais à l'extérieur, comme une âme partant pour l'enfer, sauf que là, j'avais déjà atteint le paradis. J'étais impatiente.

|END|