- J’adore cette lueur de désespoir intense dans ton regard, ça fait vraiment ressortir toute la beauté de tes yeux.

Je sers les dents, alors qu’une douleur lancinante immobilise mon poignet droit brisé en un angle improbable. Je sens les doigts gelés de Nathanaël contre la peau de mes bras, les retenant au-dessus de ma tête. Je sens sa respiration saccadée contre mon cou, je sens son regard posé sur mes propres prunelles, alors que j’observe le ciel à moitié dissimuler par les branches noires des arbres, tels des doigts voulant se saisir de la lune. J’entends le grognement bestial qui vibre dans sa gorge. Je reporte mon attention sur lui et lâche :

- T’es taré.

Un rire affreux s’échappe de ses lèvres gercées par le froid environnant. La bête qu’est devenu le jeune Baroque lâche mon poignet blessé et approche sa main libre de ma bouche. Mon cœur s’emballe alors que je sens son index se posé sur ma lèvre inférieure brûlante et tâchée de sang. Finalement, Nathanaël porte sa main à sa propre bouche, alors que le liquide pourpre coule entre les jointures de ses doigts, faisant ressortir la pâleur de sa peau presque rendue translucide par l’éclat de la lune. Un mauvais pressentiment m’assaillit alors qu’il semble se délecter de l’hémoglobine qui tâche son index. Et, finalement, poussé par un désir chassant le peu d’humanité qui aurait pu l’habiter encore, il se jette littéralement sur moi et plonge ses dents dans la chair de mon cou. Je hurle alors qu’une douleur fulgurante prend naissance à l’endroit où ses crocs sont plantés. Je sens sa langue contre la plaie alors qu’il boit avec avidité, me privant de mon énergie.

Mon cœur bat. Il tambourine contre ma poitrine, pulsant douloureusement contre mes côtes. Mes muscles se contractent, mes yeux se voilent puis se révulsent. De violentes convulsions soulèvent mon corps. Ma respiration se fait de plus en plus irrégulière, douloureuse. J’ai mal. Je cesse de lutter contre la force animale qui guide Nathanaël. Je n’entends plus rien, plus rien à part les battements de mon cœur qui s’accélère au fur et à mesure que les dents de mon « ami » s’enfoncent dans la chair de ma gorge.

Alors c’est ça, mourir ? Je ne savais pas que cela pourrait faire autant de mal et autant de bien à la fois. Ne plus souffrir, ne plus sentir, ne plus voir, ne plus entendre. Juste se concentrer sur ce qui me faisait vivre il n’y a pas si longtemps. Se concentrer sur ces battements qui m’abandonnent doucement. Presque trop lentement. Mon pouls ralentit, ma bouche s’entrouvre. Je cherche l’air qu’il me manque pour vivre. Encore quelques secondes, s’il-te-plaît. Juste pour me souvenir.

On m’a toujours dis que mourir, c’était revoir toute sa vie défiler en une seconde. On m’a dit qu’on revivait les moments les plus beaux de son existence. Il faut croire que ce n’est pas le cas pour moi, que je n’ai jamais rien vécu d’heureux. Que ma présence sur Terre fut inutile, n’a pas changé la vie des autres. Alors mourir maintenant, n’est-ce pas dans l’ordre des choses ? Je crois que si.

Mes yeux regardent le ciel que je ne peux plus voir. Ma poitrine ne se soulève presque plus, mouvement imperceptible. Je ne sens plus le vent balayer mes cheveux et caresser ma peau. Je ne sens plus mon sang couler dans la bouche de Nate. Je ne sens plus la terre sous mes doigts, et je ne sens plus son odeur. Je sens la vie m’abandonner, quitter mon corps pour ne plus jamais le retrouver. Et je souffle une dernière fois.

Nate n’entendit ni ne vit Antarès qui s’approchait d’eux tant il était obnubilé par ce qu’il était en train de faire. Puis Ethan mourut sous ses crocs, et il offrit son visage à la Lune en éclatant de rire.
Son créateur prit alors son visage relevé entre ses mains et embrassa fougueusement Nathanaël, qui ressentit soudain une bouffée d’affection pour Antarès. Il se sentait tellement sur la même longueur d’onde que lui, et lui était incroyablement reconnaissant de l’avoir libéré. Il répondit alors à son baiser avec toute la gratitude passionnelle qui venait de l’envahir, se redressant un peu – il était toujours au-dessus d’Ethan, les genoux dans la terre de chaque côté du cadavre – et agrippant la taille du rouquin de ses mains. C’était si bon, si vrai : juste deux personnes qui se comprennent mieux que quiconque, deux privilégiés placés bien au-dessus de leurs congénères, échangeant un baiser intense teinté de sang.

- Merci, souffla Nathanaël en libérant un instant ses lèvres.

Il avait les larmes aux yeux, sans vraiment savoir si c’était de la joie, du soulagement, de la gratitude, de la douleur ou un mélange de tout ceci. De la douleur ? Oui, car il réalisa soudain qu’il avait assassiné son meilleur ami, et cela provoqua en lui un sentiment étrange qu’il ne comprit pas vraiment.
Une larme coula sur sa joue alors qu’il embrassait à nouveau Antarès, étourdi par tous les sentiments qui l’envahissaient. Ce n’était pas un baiser tendre, ni doux, non, c’était un baiser fougueux et passionnel, dévorant d’intensité. Incroyablement grisant.

Je sens peu à peu que le blond faiblit, que la jeune fille aux cheveux bleus monte en puissance, bientôt elle nous surpassera, et bientôt elle nous transformera, l'un après l'autre, comme le rouquin avec l'autre gars de tout à l'heure. D'un bref coup venu de nul part, je me sens projeté dans les airs. Ca y est, la vengeance commence, et la vengeance est un plat qui se mange froid. Durant ce court instant, traversant les airs, je ressens la peur. J'atterris lourdement sur le dos. Je ferme les yeux, à demi conscient, plongé dans une sorte de transe où la douleur aigue montait dans mon dos et parcourait tout mon corps de spasmes. Je vis des images défiler dans ma tête, des périodes de ma vie, et alors là, je me suis dit, ça y est, c'est ici que se termine ta vie, aujourd'hui, en cette nuit même, au coeur d'un bois sinistre, tu vas terminer ta vie, toi Edward Seven Hadley, sans savoir pourquoi ni comment. Ton heure est venue, c'est tout.

Lorsque j'ouvris les yeux, la jeune brune était penchée sur moi. Aussitôt, elle porta un doigt à ses lèvres. Silence, d'accord j'ai pigé le message. Je la vis se redresser, pendant que je me remettais moi même sur pieds. Un combat entre femmes, c'est toujours intéressant à voir, juste quand elles se battent pour vous, parce que là, c'était glauque. Mais n'oublions pas l'autre blond et la folle. Elle l'a plaqué contre un mur et s'apprche de on oreille en murmurant des paroles incompréhensibles. Je vois les yeux du gars s'arrondirent, mais il ne bronche pas. Les dents de la jeune fille se resserre sur le chaire humaine du lobe d'oreille. Pas un cri, pas un mouvement. Zachary ne bouge pas. Il ne hurle pas, tout ce qu'il fait c'est succomber , il encaisse le coup intérieurement. Elle se recule un peu. Je vois la terreur se reflétter dans les yeux de Zac. Dis moi que c'est pas vrai. Elle se rapproche, l'embrasse. Ah ils sortent ensemble ? Bon bah ça va alors. Je ne sais pas si bien dire, au lieu de l'embrasser, elle lui mord lèvre et langue avec une force qui déchire la peau. Le sang perle en fines goutelettes. Sitôt levée, la brune qui est avec nous depuis le départ sort un couteau de sa poche.

Ne me demandez pas pourquoi, je ne saurais vous répondre. D'où vient le courage alors ? Elle tira de toutes ses forces sur la jeune fille aux cheveux bleus et laissa pénétrer son couteau dans la chaire tendre. Un cri, une masse qui s'effondre, une belle jeune fille qui se redresse, son couteau ensanglanté en main, terrifiée par son propre acte.

"-Zachary...Es-tu encore toi même ? Si oui dit ce qu'on peut faire..."

Non, ne va pas le voir, il est contaminé. Je suis sur que, bientôt, la bleue va se relever et mordre la brune. Les choses tournent au ralentit. Si on se mord, on devient fou. Si on boit le sang dans le cou, on devient fou. Mais quelqu'un à bien dû être possédé le premier. Donc, si je fais semblant, étant un Molière, ça ne devrait pas être trop dur pour moi si ? Bon, au travail. Je ne veux pas me transformer comme eux. Zachary est touché, c'est sur. Mais la brune pas encore. Comme elle, je ne peux me résigner à l'abandonner. Mais alors, que faire. Peut être que si on le remord, il deviendra normal ? Je ne m'y risquerait pas. Si je me trompe, alors je serais une proie trop facile, et je ne veux en aucun cas être la proie.

"-He ma belle."

J'interpelle la jeune fille. Mon regard vire bizarrement comme celui des possédés. Je me dirige vers elle à grand pas. Ou je réussis et c'est tous les deux qui nous en sortons, ou je rate et on foire. Mes cheveux ébourrifés, mon regard tueur, d'une démarche fantômatique, je me dirige vers elle et l'entraine dans le bois. Ma force se décuple, seule, sans aucun appel à l'effort. Je tente tout de même de rester moi même, pour contrôler la force qui monte en moi. Il faut que je la contrôle, sinon elle s'emparera de moi, et de la jolie femme. Les arbres sont nombreux. Un peu éloigné des deux autres, je la plaque contre le tronc, mais en faisant attention à pas lui faire mal, en mettant un minimum de réel dans mes gestes. Je lui susurre à l'oreille :

"-Fais genre ou on est mal."

J'enfouis ma tête dans son cou. Son parfum m'ennivre. Je résiste à la tentation de lui faire du mal et la mordille faiblement. Sang. Il fallait que je dise ce mot pour m'en sortir. Maintenant, j'ai fait mon travail, à elle de crier, ou de réagir comme elle le souhaite, tant que cela ne nuit pas au plan. Je ne décolle pas mon corps du sien, je me rapproche même. Lui faisant rempart de mon corps, au cas où... Maintenant il faut qu'elle comprenne, c'est où tous les deux, ou rien.

Le reste se passa très vite. La jeune fille aux cheveux bruns se jeta sur Rhine pour l'écarter de son "repas" et lui planta un couteau dans l'épaule de la fille aux cheveux bleus qui s'écroula sans attendre sur le sol et sur le dos. Les trois autres paniquaient et la bleue avait perdu connaissance pour la reprendre ensuite.

Quand j'ai réouvert les yeux, je ne comprenais pas. Je grimaçais et ne bougeais pas, j'étais comme paralysée. Mais maintenant que j'ai retiré le couteau de mon épaule je me suis relevé et c'est beaucoup plus déstressant. Je crois avoir bien déchirer l'oreille de la fille qui m'a attaquée en hurlant. Je regarde autour de moi et mon regard croise celui de Zachary. Son visage est en sang. J'en ai la nausée. Qui lui a fait ça ?! Oui moi aussi je suis dans un état critique et puis ?

Pourquoi ce goût âcre dans ma bouche ? C'est répugnant ! Je crache le liquide rouge sur le sol et vomit au passage mon repas du soir. J'essuie ma bouche et court vers Zac pour le saisir dans mes bras alors que mon épaule droit est douloureuse.

-Zac, chéri ! Qui t'as fait ça je t'en prie réponds !

Je lui caresse la joue et pose sa tête sur mes genoux. Je pleure, mon visage au dessus du sien. Ma main parcourt ses lèvres pour retirer le sang et je caresse ses cheveux blonds. Je ressens plus sa douleur que la mienne. Je regarde son visage, tremblant de peur. Peur qu'il laisse la vie ici-même. Alors je chuchote sans plus entendre aucun bruit autour de moi.

-Ouvre les yeux Zachy...

Ma gorge me fait mal. J'aimerais savoir pourquoi le mec et l'autre fille se sont enfui, pourquoi Zachary est dans un état pareil et pourquoi nous sommes dans les bois. Oui sérieusement il est plus de minuit ! Je ne me ouviens pas quand je me suis griffé le bras au point de déchirer le tee-shirt... ETHAN ! Non... Non ! Lui non plus ! J'ai été posséedée ? Où est Ethan ? Et si son ombre l'avait rattrapé ?! Je suis si faible que je n'aurais pas le temps de le trouver. J'espère qu'il s'en ai sorti lui aussi. Qu'il est à l'abris et que ses blessures ont déjà cicatrisé bien que ce soit impossible. Je pose la tête de Zac sur le sol et me lève pour aller frapper l'arbre de toutes mes forces en pleurant.

-Non ! Ethan ! Zachary ! Non !

Finalement je tombe sur les genoux de fatigue et je serre le poing sur la terre. Je comprends que les blessures de Zachary... Ont été faites par moi. Je n'arrive pas à sécher mes larmes, mon état est trop pitoyable. Je ne veux pas perdre un ami et mon petit ami, non... Je refuse. Je peut encore ressentir la chaleur de la main d'Ethan autour de la mienne tout à l'heure, avant que je le fasse fuir. Je ferme les yeux, je ne sais pas quoi faire ni où donner de la tête.

Finalement je décide de me lever et je fuis en courant. Zac devrait s'en sortir avc l'aide des deux autres, et j'ai peur qu'il soit arrivé quelque chose à Ethan. C'est lui qui est prioritaire dans l'histoire. De toute façon je succomberais à mes blessures dans peu de temps, alors le revoir serait mieux. Je laisse mes jambes accélérer sans jamais s'arrêter. J'ai peur, je tremble et tombe à plusieurs reprises mais je ne ressens plus le mal. Peu importe. Je prie pour que la brune et le blond donne un peu d'aide à mon copain. Ce serait le bien, le mieux pour lui. Je n'oserais pas y retourner pour le blesser de nouveau.

Alors que je ne m'y attendais pas je trébuche sur quelque chose en lâchant un cri, en m'étalant de tout mon long sur le sol, fermant les yeux et grimaçant. Je me lève en ayant su mal à respirer et me tourne vers... Le corps de mon ami le plus proche. Ethan. Le voir ensanglanté, au sol, les yeux clos. Je me mets à genoux et prends mon courage à deux mains pour écouter s'il respire. Mon sang ne fait qu'un tour et je pose mes mains sur son bras, mains doigts se resserrant autour de lui. La rage m'envahit, elle est plus forte que les blessures. Je suis épuisée. J'ai envie de croire que tout ça n'est qu'un rêve. Je me mords la lèvre, s'enfoncent mes ongles dans sa peau comme si son coeur allait le faire revenir. Et je me laisse pleurer comme une enfant en posant ma tête sur son torse. Ne me trouvez pas, laissez moi en paix. J'ai besoin d'air je ne crois pas tenir plus longtemps, je me laisse m'écrouler à côté de lui, toujours en sanglots. Cette nuit n'est qu'un carnage, je hurle, jusqu'à ne plus pouvoir le faire. Mes doigts lâchent doucement son bras, je vois flou...

Et son coeur cessa de battre...

Ils pensaient que c’était un cauchemar et ils n’avaient pas tort. Ils vivaient un cauchemar éveillé. La peur qui les hantait, la folie qui les possédait, la mort qui s’emparait d’eux, tout était un cauchemar on ne peut plus réel.
Mais tous les rêves ont une fin et il en va de même pour les cauchemars. La brume devient plus épaisse, les englobe, s’engouffre en eux, pernicieuse, à l’image de leur angoisse. Elle les recouvre, les avale. Ceux qui sont encore en vie suffoquent. La brume fait tout disparaitre. Tout. La forêt est maîtresse du jeu depuis le début. C’est la seule et l’unique détentrice de tous les pouvoirs. A présent, le jeu est terminé. La forêt absorbe allégrement la peur, la folie, la mort, dans un étourdissant délice d’une profondeur sans pareille. Aussi profonde que les cris d’horreur de ceux qui ont encore la force de hurler. Aussi profonde que la détresse de ceux qui sentent la vie leur échapper.
Tout s’achève.
Jusqu’au prochain Halloween.