La salle des profs, ou le sanctuaire des membres du personnel. Triangle des Bermudes anti-élèves, l’un des rares lieux (si ce n’est le seul) de l’académie où nos chers amis les enseignants et autres surveillants peuvent apprécier un moment de tranquillité sans voir ni entendre le moindre gamin. Parce que nos chers diplômés de l’enseignement ont beau apprécier leur métier pour la plupart, ça fait quand même du bien d’être au calme, de temps en temps. Ah, le calme…

- Good morning ladies ! s’exclama joyeusement Fauve Evernight en entrant dans la salle des professeurs.

Elle posa son sac sur une table déjà occupée et se dirigea vers la machine à café. Elle ne savait pas faire de café correct, ses collègues le lui avaient d’ailleurs interdit depuis la fois où elle s’était proposée pour faire le café et où personne n’avait été en mesure de finir sa tasse. Heureusement, la cafetière était déjà remplie d’un café bien chaud et probablement meilleur que celui que la jeune femme faisait. Elle s’en servit une tasse et retourna vers la table. Il fallait qu’elle photocopie des papiers tout à fait passionnants (des trucs administratifs, en gros) à sa classe principale. Car oui, cette année, Fauve était prof principale d'une classe de troisièmes ! Comme ce n’était que le début de l’année et qu'elle les avait vus seulement quelques heures pour l'instant, elle ne les connaissait pas encore beaucoup, mais ils avaient l’air sympa. Une bonne année en perspective !
La jeune prof de français but une gorgée de café et se tourna vers la photocopieuse… Occupée par Aldébaran de Beauséant, professeur de danse qui semblait actuellement en perdition devant l’engin infernal… Bon allez Fauve, prends sur toi…

- Tu t’en sors ? demanda-t-elle d’un ton enjoué en s’approchant derrière lui, sa tasse à la main.

La rentrée. Mael, pour fêter sa deuxième année en tant qu’enseignant à l’Académie, avait reçu le merveilleux cadeau d’une classe de seconde à gérer en tant que prof principal. Une bande de moufflets à qu’il faut faire la morale et gérer la paperasse … Que du bonheur. Il allait sûrement devoir revisiter ses manières d’imposer son autorité et de gérer les crises de discipline. Quant aux papiers à distribuer ... ça serait vite fait. Déjà ce matin, après avoir sacrifié un quart d’heure à leur distribuer les modalités du début d’année, il avait décidé que trop de temps avait été gâché. Un échauffement, puis 30 minutes de footing. Une pause pour ces pauvres corps de faiblards et à nouveau 20 minutes. Pendant qu’il les laissait dégouliner sur les bancs autour de la piste du stade, lui avait préféré continuer de courir, il avait un peu délaissé cet exercice vide-esprit pendant les vacances. Aussi, lorsqu’il ouvrit avec ses bras violemment les battants de la porte de la salle des professeurs, ce fut couvert de sueur qu’il entra. Le sourire aux lèvres de s’être tant dépensé, quelques cheveux collants à son front mouillé et des tâches humides sur son classique marcel gris, il faisait intrus au milieu de tous les autres profs parfaitement sapés pour leur premier jour de cours. Il faut dire que les élèves sont impitoyables. Ils remarquent les moindre défauts apparents sur leur instit’ et les utilise par la suite pour les ridiculiser et les tourmenter. Alors chacun s’efforce de se défendre à coups de tailleurs impeccables et chemises repassées.

Il aperçut Sacha au fond de la salle, vers la photocopieuse. Quand son regard glissa vers le panier débordant de viennoiseries sur posé sur la table, il ne douta que c’était la Super-Surveillante-Sur-Son-Skate (abrégé SSSSS) qui avait fait ce don du ciel. Il se précipita vers le graal, poursuivit par son halo odorant de virilité. Un subtil mélange de transpiration et de déodorant préalablement bien dosé. Seuls les nez aiguisés savent l’apprécier à sa juste valeur.

Il commençait à savoir reconnaître certains professeurs. Fauve, McBond et bien sûr Aldébaran, avec qu’il s’entendait plutôt bien depuis leur beuverie d’un soir au fond des ruelles obscures. Bien entendu, ils avaient gardé cet épisode de leur vie caché aux autres collègues. Tout de même, un peu de dignité. Mais la première à aller saluer restait Sacha. Son croissant entier bien coincé dans sa bouche, il s’avança près de SSSSS et sans profita de son dos tourné pour l’enlacer tendrement … avant de frotter sa joue poisseuse sur son visage, et de tenter d’articuler, en vain quelques mots de remerciements pour le sacré goûter.

Peu importe l’image que pouvaient avoir de lui les autres profs, il était en pleine forme, ainsi dégoulinant, mangeant et aimant.

Fauve sourit à Fabricio, le nouveau professeur de dessin, qui lui avait rendu son salut avec une légère hésitation sur son nom – logique puisqu’il était nouveau. Aldébaran abandonna la terrible machine qui le torturait pour se diriger vers la cafetière. Au même moment, Sacha débarqua dans la pièce avec autant si ce n’est plus de fracas que Fauve avant elle. Fauve sourit en la voyant, puisque sa présence signifiait qu’ils allaient passer un bon moment. La jeune surveillante avait apporté des viennoiseries, et pour couronner le tout, elle « répara » la photocopieuse en un éclair. Fantastique créature, sois bénie. Fauve l’embrassa sur la joue et lança avec un sourire amusé :

- Merci, Ô déesse de la violence envers les machines récalcitrantes !

Alors que la prof de français, affamée, s’approchait du panier de viennoiseries, quelqu’un d’autre fit une entrée théâtrale. Cette porte allait finir par rendre l’âme. Mais le nouvel arrivant n’était pas seulement bruyant, il était… Musclé, couvert de sueur et de déo, dans un impeccable cocktail de virilité affirmée… Hum, charmant. Il s’agissait bien évidemment de Mael, le frère de Sacha. Vu la sœur, on n’en attendait pas moins du frère ! Ledit frère vint se coller à ladite sœur de manière tout à fait virile, facétieuse et dégoutante. Fauve se mordit la lèvre pour ne pas rire. Elle ne savait pas ce qui l’amusait le plus, entre Mael lui-même et Fabricio qui était au bord de l’évanouissement.
Fauve trouva un air plutôt charmant à ce Fabricio, avec sa canne. Pourtant elle n’était en principe pas attirée par les hommes plus âgés qu’elle, mais il fallait reconnaitre que celui-ci était plutôt mignon. C’était la canne, sans doute. Ça lui donnait un air mystérieux. Voilà.
La jeune femme détourna le regard pour s’intéresser au contenu du panier, et prit un petit pain au chocolat avant de s’installer sur le canapé situé près de la fenêtre – l’odeur « virile » de Mael ne la dérangeait pas trop, mais pour manger elle préférait quand même avoir les narines un peu moins saturées.
Elle but une nouvelle gorgée de café. Celui-ci n’était d’ailleurs pas trop mal, et même plutôt bon, juste bien dosé.

- Qui a fait ce café, que je l’embauche comme faiseur de café officiel ? demanda-t-elle en désignant sa tasse après avoir avalé sa bouchée de pain au chocolat. Oh et Sacha, ces viennoiseries déchirent !