Mettez une centaine d'élèves affamés dans une salle pleine de nourriture, et vous obtenez des déjantés à tendances carnivores... Oui, quand l'instinct de survie et l'appétit sauvage se réveille, ça donne ce qu'il a devant moi.
Je n'était jamais venue dans la Salle à Manger. Enfin si, une fois, le jour de mon arrivée où un membre du personnel m'avait fait visiter les locaux. Mais je n'étais jamais descendue pour y manger, tout simplement parce que la perspective de passer une heure supplémentaire au milieu de tous ces élèves me donnait la nausée. Mourir de faim était encore préférable. (Mal)Heureusement pour moi, ma mère avait sûrement prévu que je tenterais de faire subir à mon estomac le vide absolu car elle avait rempli tout un sac de plats déjà préparés, de salades, de fruits, de chips, de sandwichs, et même de Kinders! Comme si je n'avais pas ma propre réserve de sucreries! Enfin, ça m'en faisait toujours plus, mais le fait que ma mère ne me fasse pas confiance à ce point était quand même énervant. On aurait dit qu'elle m'avait préparé à manger pour un mois, alors qu'elle savait très bien que je pouvais tenir une petite semaine avec une dizaine de paquets de chips et quelques paninis. Tout ça sans jamais mettre un orteil dans le réfectoire. Pourtant, même si ma mère cuisinait plutôt bien, son opération Commando Bouffe Sauvez Ma Fille De l'Anorexie me tapait vraiment sur les nerfs, à tel point que je ne pouvais plus décemment manger ses provisions. Et puis je ne suis pas anorexique. Je n'aime pas manger, à part des cochonneries, comme elle dirait. Franchement, je ne vois pas l’intérêt de ne pas grossir si je ne peux même pas manger ce que je veux.
Je pris un plateau et composait mon premier menu à l'Académie. Oeuf mayonnaise (ou plutôt mayonnaise à l'oeuf...). Hoki pané. Haricots verts. Pêche. Et pour faire bonne mesure, trois tranche de pains.
Je me frayai un chemin entre les tables qui remplissaient presque toute la surface de la salle, évitant de bousculer les innombrables élèves qui se levaient pour échanger leurs desserts. Trafics de liégeois. On se croirait au collège.
Ce fut après avoir repéré une table vide que j'accélérai le pas. Me rappelant les circonstances de ma rencontre au part avec Spike, je regardais droit devant moi tout en essayant de ne pas me prendre les pieds dans les sacs posés par terre. Pas évident, si vous voulez mon avis.
J'arrivai devant la table et me figeai; elle n'était pas vide en fait, (comment avais-je pu croire cela avec tout le monde qu'il y avait?), je n'avais pas vu la jeune fille qui y était déjà attablée. Elle avait de longs cheveux blonds, et elle était tellement discrète qu'on ne remarquais presque pas sa présence... sur son visage, je lisais une expression sur laquelle je ne pouvait mettre de nom, mais je la reconnaissais bien pour l'avoir affichée moi-même pendant des années. J'étais de nouveau confrontée à ce choix qui n'en était pas un: m'asseoir à cette table ou partir. Peu désireuse de rester plantée là à la regarder, je fit le tour pour être en face d'elle.

"Euh, excuse-moi, lui demandai-je en élevant la voix pour couvrir le brouhaha. Ca te dérange si je m'assoie ici?"