Toute la matinée a été longue, très longue. Je me suis levé vers neuf heures, je suis allé prendre ma douche en mode « zombie » et je n’ai pas déjeuné. A vrai dire, il n’est que dix heures désormais et je commence à avoir faim, mais je vais aller au café. Pour boire un chocolat chaud et manger des biscuits avec ou autre chose.
Là j’étais en train d’observer mon torse. Hum, un peu de musculation me ferait pas de mal je pense, parce que j’ai certes un beau corps mais pas musclé comme je le voudrais. Je soupire et enfile un tee-shirt et une veste en cuir. Avec mon jean, mes converses, mes cheveux ébouriffés et mon air de tueur en série on pourrait croire que je suis un rockeur dans l’âme, ce qui n’est pas totalement faux mais pas totalement vrai non plus. Je me mets en route maintenant, un sac à dos planté sur mon épaule. Je marche en restant droit, mais pas comme un bout de bois non plus, j’ignore les quelques regards plantés sur moi et je passe une main dans mes cheveux en quittant l’académie. Je la quitte pour aller dans le centre-ville et entre dans le café le plus proche, celui où je vais d’habitude. Il n’y a pas forcément de monde et la décoration est sympathique, alors c’est toujours bien de se réfugier là-bas pour penser.
Je m’installe à la même table que d’habitude, placée contre la fenêtre, avec trois chaises. Je pose mon sac à mes pieds, pose les bras sur la table et m’arc-boute à moitié en regardant dehors. Je soupire. Je suis nostalgique en ce moment, c’est étrange. La serveuse arrive et je lui demande dans un souffle la même chose que chaque fois que je me rends ici, c’est-à-dire un chocolat chaud avec un paquet de biscuits craquants au goût chocolaté. Elle s’en va, me laisse seul. La solitude est tellement présente en ce moment que je ne sais plus quoi penser.
Le garçon qui s’installe comme un bourrin en face de moi me fait sursauter, et je relève les yeux vers lui. Un fou ? Non, juste un mec qui comme moi à l’air de bien s’ennuyer aujourd’hui. Alors je ne dis rien, après tout je suis heureux d’avoir un peu de compagnie. C’est ce que je voulais depuis ce matin.

-Salut.

Sa voix m’arrache à mes pensées et me fait tirer une grimace de dégout, j’ignore pourquoi. Peut-être que c’est son geste ? Se gratter les sourcils c’est chelou.

-Salut, lui lançais-je à mon tour.

En l’observant plus attentivement je remarque que son visage me dit vaguement quelque chose. Oui, je l’ai déjà vu marcher dans le centre-ville mais c’est rare et aussi à l’académie. Il n’est pas un Beethoven, je l’aurais remarqué tout de suite. Mais je ne dis rien de plus, mes yeux retournent vagabonder dehors de fille en fille, de garçon en garçon. Les gens sont calmes et sereins dirait-on. Un soupir sourire m’échappe des lèvres et la serveuse arrive pour poser la tasse et une petite assiette de gâteaux devant moi. Je croise son regard, elle sourit. Je sors un billet de ma poche et lui met dans la main en souriant. Elle prend le billet et s’en va en sautillant sur place.

Je grognais quand il me piquait un de mes gâteaux, et je voulais dire un mot mais il me devançait déjà:

-Mmh, enfin sinon tu part en classe de neige toi ?

Je soupire et lance:

-De toute façon ça te regarde pas. Et c'était mon gâteau OK ? Tu mes payes ta nourriture et moi la mienne.

Aussitôt j'enfourne un biscuit dans ma bouche pour le manger, mettant l'assiette de l'autre côté de la tasse de chocolat chaud.

-Tu fais ça pour draguer les filles, pas les mecs compris ?

Je lui lance un regard noir. Je serais prêt à lui foutre un poing dans la face pour lui faire comprendre. Je serre les dents, je serre les poings et je dévie lentement le regard vers la charmante serveuse qui observe la scène. Ce mec il est trop curieux à mon goût, j'aimerais bien le laisser en plan et discuter avec cette serveuse comme je le fais d'habitude. Une super femme. Elle sait s'y prendre avec la clientèle, c'est sûr. Je soupire et termine la tasse en regardant l'heure au mur. Les aiguilles ont à peine bougé. Je suis désespéré. Je ne sais même pas quoi dire, sauf un "dégage" qui pourrait être vulgaire mais je vais pas l'envoyer chier. Il s'ennuie, il squatte. Et moi je déteste ça. J'ai envie de me jeter sur lui et de le défigurer mais je me retiens et savoure une autre gourmandise pour me calmer. Je ne sais pas s'il va devenir mon pote lui. Il est trop irresponsable à mes yeux pour l'être. Ennemi ? Oh que ce serait un bien grand mot. Non non, juste à l'écart. Je l'éviterais si possible et je ferais tout pour ne pas le croiser partout où j'irais, ce serait mieux.

Je me lève, termine tous les gâteaux avant qu'il n'en pique un autre et va aux toilettes pour le laver les dents. Toujours avec la même allure de mannequin que je ne peux pas contrôler, -eh oui c'est naturel- je reviens à ma place, déjà débarrassée. Ah, si gentille soit-elle cette jeune femme ! Je souris et plonge mon regard à travers la vitre, encore. Je ne sais pas ce que je vais faire d'autre aujourd'hui, je verrais suivant mes envies.

Il continue de parler. Il a très bien remarqué qu’il m’agace au plus haut point mais il continue de me causer. Il ose même me demander si je suis en colère. Je soupire et serre le poing, je le fixe d’un regard noir. Ce n’est certainement pas dans mes habitudes mais là je n’en peux plus. Je suis hors de moi, il se fout littéralement de moi. Il ne le fait peut-être pas exprès, certes, mais toute cette scénette est sans aucun sens.

-Oui, répondis-je dans un souffle.

Je saisis mon sac et le fixe sans rien dire. Rien qu’un grand silence. Je sors aussitôt un bouquin de mon cabas que je repose ensuite sur mes genoux. Mes yeux se plongent dans le bouquin et je lis, comme ça, comme si de rien était, comme s’il n’était pas là. Mais il continue de regarder la pièce, alors je range le livre et la serveuse vient s’asseoir à côté de lui, donc en face de moi. On se regarde un moment et elle dit :

-Vous souhaitez quelque chose d’autre les garçons ?

Son sourire me fait craquer, je me détends et je souris à mon tour. Je lui attrape la main sous la table et j’y dépose encore des pièces, de quoi payer un coca pour moi et pour elle, et lui il se débrouillera, je ne connais même pas son nom. Alors que je veux remettre ma main sur la table, elle l’attrape et je détourne le regard vers la petite pendule. Elle entremêle nos doigts et je garde le silence. Elle le fait toujours avec moi, elle m’aime bien trop je trouve, ça me gêne mais je la laisse faire. En tout cas je ne me laisserais pas faire par elle, je me méfie des jolies créatures comme elle. Bref, je regarde l’autre là, et j’attends en disant :

-Tu prends quoi toi ?

A moi de poser les questions, voyons. Il faut que je me calme. Et cette pression dans ma main m’aide à rester assez détendu. Je n’ai pas forcément l’habitude de causer avec des mecs de son genre puisque je les évite, mais bon. Je dois essayer d’au moins paraître sympathique.