La dernière heure de cours sonna enfin. Pour Peeta, il était quinze heures. Magique emploi du temps, dans ces cas-là.
Les élèves se bousculaient dans les couloirs, leur voix bourdonnait dans tous les sens. Cela donnait tout simplement mal au crâne. Le jeune homme les évita le plus possible, se faufilant entre eux comme à son habitude, s'accrochant tant bien que mal à son sac en bandoulière.
Quelques types de sa classe ricanèrent à son passage, prétextant qu'il n'était qu'un raté, mais il les ignora efficacement. Certaines filles lui firent les yeux doux, chose qu'il ne comprenait pas. Des gars le regardaient en coin, attendant une énième invitation de nuit qui ne viendrait jamais.

Peeta était solitaire. Dans son monde.
Beaucoup le détestait. D'autres restaient neutres.
D'autres encore, et ils étaient plus rares, essayaient de se rapprocher de lui.
Peeta s'en fichait éperdument.
Il glissa furtivement vers la porte menant aux toits et l'ouvrit à la volée. Ses pas résonnèrent sur les marches de l'escalier avant qu'il n'atteigne la seconde porte, celle du Salut.
Et il l'ouvrit.

Des oiseaux furent effrayés et s'envolèrent à tire d'aile en piaillant. Il resta un instant dans l'embrasure de la porte, à les observer. Lorsqu'ils disparurent de l'autre côté du bâtiment, Peeta referma la porte derrière lui et avança silencieusement sur le toit jusqu'à la rambarde de sécurité ; en bas, les élèves parlaient entre eux, parfois avec animosité, à savoir ce qu'ils allaient pouvoir faire pour remplir le reste de la journée.
L'écossais savait qu'ils allaient, pour la plupart, squatter un bistrot de la ville pour consommer un peu d'alcool. Il avait remarqué que c'était une sorte de coutume des jeunes, ce genre de choses.
Lui-même ne le faisait pas.

Ses yeux ambrés quittèrent le sol en contre-bas pour se lever vers le ciel bleu parsemé de nuages blancs. Il n'aimait pas le soleil mais, en cette saison, les rayons brûlaient nettement moins sa peau.
Il ferma les paupières un instant, inspira profondément l'air. Un coup de vent balaya ses cheveux un instant et il se couvrit l'oreille.

Cette sensation de liberté lui faisait du bien.

Il passa la bandoulière de son sac par-dessus sa tête et laissa l'objet tomber au sol. Le jeune homme enjamba ensuite la barrière pour s'y asseoir, les pieds dans le vide.
Un acte dangereux, certes.
Peeta aimait ce genre d'endroit. En ignorant les lois et en se mettant en danger sur des choses inaccessibles.
Un nouveau coup de vent passa ; l'écossais l'ignora totalement, lâchant juste la rambarde d'une main pour réajuster son col sur sa gorge.

En bas, quelques élèves eurent l'instinct de regarder vers lui. Certains s'écrièrent, d'autres les rassurèrent. Ce n'était pas rare de voir quelqu'un assis aux Portes de la Mort. Et ce n'était pas rare non plus que ce soit justement Peeta.
L'écossais ignorait ces bourdonnements qu'il entendait d'ici.

- C*nnard ! S'écria une voix en contrebas.

Des mecs ricanèrent, l'un d'eux fit un doigt d'honneur vers Peeta, que l'écossais ignora. Satisfaits de leur connerie, ils s'éloignèrent du bâtiment pour sortir de l'Académie à la suite d'autres jeunes.
Peeta haussa à peine les épaules, totalement indifférent, et releva le menton pour observer le ciel pensivement.

Etait-il réellement seul ? Au final, pas tant que ça. Peut-être étaient-ce des oiseaux qui parcouraient les toits avec leur fâcheuse manie à faire du bruit. Au final, Peeta s'en fichait. Qu'avait-il à cacher ? Du moment qu'on lui foutait la paix.
Il ignora donc tout ce qui l'entourait.
Seules ses pensées avaient de l'importance ; là où l'imaginaire côtoie la réalité, des animaux se rassemblèrent dans une lente danse. Des dauphins sillonnaient les nuages blancs et des chevaux poussaient leur hennissement de liberté, au galop.

Le vent se leva une nouvelle fois. Peeta repoussa ses cheveux de jais avec l'une de ses mains. L'autre était toujours accrochée à la rambarde sur laquelle il était assis. Derrière lui, des bruits le tourmentèrent légèrement mais il les ignora.
Il put juste voir un objet passer près de lui.
Avec l'aide de ses mains gantées de mitaines en faux cuir, il ré-enjamba la barrière de sécurité et posa ses chaussures sur le toit.

Et là, quelqu'un lui tomba dessus.
C'était une manie, chez les autres, de toujours le percuter ? Ou était-ce lui qui attirait ce genre d'ennuis comme des aimants ?
Il poussa un grognement étouffé. Sa poitrine le lança assez pour qu'il y dépose sa main et serre son tee-shirt rageusement entre ses doigts. La mâchoire crispée, le visage indifférent, il fixa l'opportuniste de ses prunelles ambrées.

- T'est qui toi ?

Peeta resta silencieux. Qu'avait-il à répondre à ce genre de questions sans importance ? Il se releva, s'appuya contre la rambarde sans que sa main ne quitte son tee-shirt à l'endroit de son cœur. Il prit une profonde inspiration, essaya d'ignorer la pulsation nerveuse qui irradia sa poitrine.
Au revoir tranquillité.
Impassible, le jeune homme fixa l'horizon.
Et il ouvrit la bouche pour en faire sortir sa voix rauque, grave et je-m'en-foutiste :

- T'as essayé de te prendre pour un oiseau, ou quoi ?

Ouais, il se moquait d'elle. Toujours indifférent.

- Toujours les mêmes. A vouloir faire de l'ironie pour rien.

Etre pris pour un mec comme un autre. Bizarre. Et, surtout, une part de Peeta ne l'accepta pas. Il prit cela comme une insulte, lui qui haïssait la race humaine. Mais la phrase de la jeune fille glissa sur sa carapace sans réellement l'atteindre.
Elle le prenait de haut, comme beaucoup d'autres.
Et il s'en foutait.
Bien qu'il n'hésiterait pas à user de violence si elle l'énervait, elle n'en était pas moins une inconnue sans importance.

- Alors, on devient muet ? Ou bien une petite chute t'a cassée la gorge ?

Mouais. Avait-elle quelque chose à prouver en usant de ce genre de questions ? Se cachait-elle derrière une apparence forte pour couvrir une fragilité toute féminine ?
Qu'importait.
Peeta ignora, tout simplement. Elle pouvait faire ce qu'elle voulait. Même balancer son sac.

Le silence était sa meilleure arme, avant l'ironie. Aussi n'ouvrit-il plus la bouche et lui tourna-t-il le dos. Il s'appuya contre la rambarde et fixa l'horizon.

- Alors ?

Elle était pathétiquement énervante. Le faisait-elle exprès ? C'était à se le demander. Peeta se retourna vers elle, s'adossa à la rambarde de sécurité et la fixa avec indifférence.

- Qu'est-ce que tu as à prouver ? Demanda-t-il tout de go.

Il croisa les bras, sans réellement attendre de réponse. En fait, il s'en fichait pas mal qu'elle réponde ou pas. Cela ne l'intéressait pas et ne le concernait aucunement. Tout ce qu'il savait, c'est qu'elle lui avait atterrit dessus et, tout de suite après, l'avait tout bonnement agressé verbalement.

- Prouver ? Mais rien voyons. Si je voulais prouver quelque chose, je m'y prendrai autrement.

Mouais, ce genre de réaction était tout simplement prévisible. Ou cette fille fuyait son passé, ou elle était totalement timbrée.

- Bon, je sens que cette discution passionante ne menera a rien, donc je vais m'éclipser.

La fuite. C'était ça. Peeta n'en demeura que plus indifférent encore. Il n'éprouvait, pour cette inconnue malpolie, rien d'autre que de l'indifférence. Et elle ne cherchait pas autre chose, de toute façon.
En plus, elle se prenait pour Batgirl...
L'écossais bougea très lentement pour éviter les tuiles, tout simplement blasé par cette fille qui avait perturbé son moment de solitude pour rien.

Lorsqu'elle fut partie, il se dirigea vers son sac à bandoulière. Le prit, le passa par-dessus son épaule. Puis se dirigea vers la porte. Son regard ambré tomba alors sur un morceau de papier -une photo ?-, à sa gauche. Cela appartenait certainement à la fille.
Un instant, il voulut l'ignorer.
Un coin de son esprit pensa pourtant autrement ; ce morceau de papier était sûrement un souvenir. Une image immortalisée. Chose que Peeta n'avait pas et n'aurait jamais.
Il s'approcha de la photo mais ne daigna pas l'observer. Ce souvenir-là ne lui appartenait pas. Par contre, il y déposa un caillou, délicatement pour ne pas abimer l'image. Juste pour qu'elle ne s'envole pas.
Si la jeune fille y tenait, elle viendrait la récupérer. Et ce serait fâcheux que la photo prenne le large entre temps.

Toujours en silence, Peeta fixait ce petit caillou. Son propre passé était figé dans sa tête. Tous ces mauvais souvenirs qui faisaient ce qu'il était aujourd'hui. Pas une seule photo ne pourrait remplacer les atrocités de tout ce qu'il avait connu.
De ce qu'il continuait à subir.
Mais il l'avait mérité, très certainement.
Il serra un instant son tee-shirt à l'endroit de son cœur, inspira lentement un filet d'air par la bouche, puis s'éloigna pour se diriger, une fois pour toute, vers la porte.

- Monsieur ne daignera pas me dire son nom, n'est ce pas ?

Peeta s'arrêta, face à la porte, main sur la poignée. L'indifférence toujours de mise, il se demanda bien pourquoi cette fille devait connaître son identité. A quoi cela lui servirait-il ?
Tout s'était mal passé depuis le départ. Et elle n'avait rien fait pour arranger cela, alors que Peeta était tout simplement rester lui-même. Qu'il puisse réveiller le dégoût chez les autres, c'était rare mais possible.
Bref.

- Qu'est-c'que t'en a à faire, de toute façon ? Prononça-t-il tout simplement.

Ils ne s'entendraient pas. Pas comme ça. De toute façon, chacun de leur côté, n'en avait rien à faire. C'était un échec et valait mieux en rester là. Les identités, y en avait pas besoin. Chacun dans sa bulle, c'était très bien ainsi.
Peeta ouvrit la porte et la laisser se claquer derrière lui par un coup de vent.

Dire qu'un seul geste gentil, un seul, n'avait pas suffit pour adoucir un peu l'atmosphère. Il avait tenté de sauver un souvenir qui, semblait-il n'avait pas d'importance. Et bien, tant pis.
Peeta descendit au rez de chaussée puis franchit les portes pour rejoindre l'allée menant au portail. De là, il rejoignit tout simplement sa voiture garée sur le parking de l'établissement.