Nom de Zeus.

Ouais, voilà tout ce qui me passait par la tête pour résumer le bal de Noël. J'aurais pu donner tant d'autres adjectifs, d'autres superlatifs, d'autres expressions.. Mais je n'avais que celle-là pour le qualifier. Au moins, je n'avais pas fini ma soirée toute seule, accoudée au bar, avec les alcooliques, les déprimés, les "j'ai plus personne pour danser, et j'veux pas danser" et ceux qui étaient en train de draguer leur cavalière. On est le 2 Janvier, et il est 9heures 30. Ca ne m'étonnerait pas de savoir que je suis l'une des premières levées. Mais j'avais ouvert les yeux, mes paupières chatouillées par un rayon de soleil matinal et hivernal qui s'était perdu et qui était venu illuminer mon visage, échappant au rideau. J'avais le lit près de la fenêtre. Personne ne le voulait de toute façon. Bah oui, il n'y a que moi qui aime être réveillée à 8 heures, alors que tu t'es couchée trèèèèèès tard. Dès que j'avais été réveillée, j'avais eu envie de danser. Danser pour me rappeler. Pour me rappeler de ce Bal. Et pour pouvoir le qualifier, même s'il s'était passé déjà une semaine. Je n'avais pas pris le temps de le faire. J'avais besoin de sentir le parquet glisser sous mes pieds. De m'envoler dans un monde qui n'appartenait qu'à moi. Sachant que j'allais me trouver dans la Salle de Danse, et que je n'avais pas mal aux pieds, j'avais consenti à prendre mes pointes. J'avais fêté le réveillon, bah... Comment dirais-je... Avec mes amis.

J'avais allumé la chaîne HI-FI de la salle de danse et avait réglé le volume de manière à ce que ça ne soit ni trop fort pour les gens du dessus qui roupillaient, ni trop faible pour que je ne l'entende pas, avec le bruit résonnant de mes pointes sur le parquet. J'espérais que personne n'entrerait. Il y avait une collection de CD assez impressionnante. Je regardai les titres, et finit par en trouver un qui me plaisait assez. J'connaissais pas, mais les titres étaient assez... Parlants. Je mis le CD dans la chaîne HI-FI, et écoutai le début de la musique, le temps de m'en imprégner. Je voyais le rythme. Ca ne m'avait pas vraiment l'air fait pour le classique, mais, on s'en fiche. J'ai besoin de danser, là, tout de suite, et c'est pas le genre de musique qui va m'en empêcher. Le titre de la chanson c'était Iron, et le groupe, ou chanteur, c'était Woodkid. Je remis la musique au début et fermai les yeux. Oui. Je ne voulais pas voir ce qui se passait. Je voulais être seule avec mon esprit, les volets fermés. J'entendais mes pointes claquer sur le parquet au fur et à mesure que je sautais. La musique se termina et fit place à une autre.

Les chansons s'enchaînèrent, et le CD repris la première, ma préférée. Je pensais à Valentin, à ses yeux, à ce qu'on allait faire après... Le CD marqua un temps d'arrêt avant de reprendre. J'ouvris les yeux, et vit un adulte devant moi. Je ne savais pas depuis quand il était là. Mes yeux étaient restés fermés pendant si longtemps... Mon front ruisselait de sueur. Je m'assis sur le sol, buvant à ma bouteille, que j'avais eu le bon sens de prendre. Lorsque je terminais de me réhydrater, je m'adressais au nouveau venu.

"-Bonjour."

Neutre et simple. C'était peut-être un professeur, mais il ne m'avait pas traversé l'esprit que ça pouvait être un élève qui faisait tout simplement plus que son âge. Je me relevai et allai arrêter la musique. Quelque chose me disait que je n'allais plus danser.

Aldébaran s'était encore paumé. Bravo, bravo à lui, vous pouvez l'applaudir, merci beaucoup. Voyez vous, c'était son premier jour ici, et il n'avait pas vraiment eu la chance d'assister à une visite complète de l'Académie, lui qui avait (déjà) oublié comment ça fonctionnait. Bah, ça ne devait pas être si difficile que ça de se souvenir... Au moins, il avait retrouvé le bâtiment où il passerait la majeure partie du temps : celui des Cygnes. C'était toujours le même qu'avant, quoique la peinture avait sûrement été refaite, ainsi que quelques travaux d'entretien basiques. C'était une chance qu'en ce deux janvier, lendemain du nouvel an, personne n'avait cours : il pourrait passer la journée à se remémorer les endroits qu'il appréciait, sans avoir d'élèves dans les pattes. Et puis il y avait l'avantage de reprendre en douceur, sans être directement plongé dans pas mal de travail.

Forcément, maintenant qu'il était arrivé dans ce bâtiment, une bonne partie du plan de l'école lui revenait en mémoire : en bas les salles de cours, dont la salle de danse, puis plus haut, dans les étages, les quartiers des élèves avec leurs chambres et leurs salles de bain. Ca faisait un bail, cinq ans qu'il n'avait pas mis les pieds ici, pas une seule fois. Et aujourd'hui, il était là non seulement pour être professeur, mais aussi pour veiller sur son petit frère, si fragile émotionnellement, qui lui avait causé pas mal d'inquiétudes pendant les jours précédents. Il voulait être sûr qu'il ne fasse pas de connerie, et venir dans le même établissement que lui semblait être la meilleure solution pour garder un oeil dessus. Dans tous les cas, il commençait à être dans le besoin d'un emploi stable, alors c'était peut-être mal venu de le dire comme ça, mais l'occasion tombait bien.

Naturellement, la première salle qu'il se dût de venir explorer pour la première fois depuis son départ était la grande salle de danse du bâtiment. Après tout, c'était ici qu'il passerait le plus clair de son temps. Elle serait très certainement vide, à cette heure-ci dans la matinée, pas mal des élèves devaient déjà dormir, il pourrait donc faire tout et n'importe quoi sans être dérangé. Quoique... Il entendait de la musique venir de la salle au fur et à mesure qu'il s'en rapprochait, certes pas très forte, mais de la musique quand même. Cela attisait sa curiosité. Silencieusement, comme s'il allait se faire engueuler s'il se faisait remarquer, il ouvrit les battants de la porte, et remarqua qu'une danseuse était déjà présente. Le style de musique ne s'accordait pas spécialement avec le classique qu'elle dansait, mais après tout, elle faisait ce qu'elle voulait, et qui était-il pour la juger ? Il lui arrivait bien des fois de ne rien danser de particulier et de se laisser porter par la musique, en faisant strictement n'importe quoi de ses membres. Et ça lui plaisait.

La musique s'arrêta subitement, la jeune fille aussi (juste devant lui d'ailleurs), et elle eut l'air de bugger sur Aldébaran. D'ailleurs, Aldébaran bugga aussi sur elle : son visage lui était un tout petit peu familier, mais il n'avait aucune idée d'où il aurait pu la croiser avant, et ça avait l'air plutôt lointain. Il verrait plus tard. Elle lui adressa un bonjour, partit boire un peu, puis se releva et arrêta la musique. Elle avait l'air trempée, elle avait sûrement dansé pendant un bon bout de temps avant qu'il arrive.

"Bonjour aussi. "

Bravo Alde, réponse pertinente et constructive.

"Bonjour aussi. "
Ah super ! Ca m'avance beaucoup ! Et je réponds quoi, moi ? Vraiment, super. J'eus soudainement une idée d'enchaînement. Et je savais même sur quelle musique. Tour soutenu, arabesque, balancé à gauche, balancé à droite. Tout ç se formait dans ma tête. Et puis ensuite je faisais ça, ça et ça. Oui, c'était super !
"Vous êtes un nouveau professeur ? "
Je détaillais le visage de l'homme. J'avais une impression de déjà-vu. Mais où? Je ne pourrais le dire. Soudainement, un fragment de mémoire me revint. Le goût salé des larmes se répandait dans ma bouche, et le son des chaussons qui frappent le sol, qui le quittent et qui s'y accrochent à nouveau. Le souffle saccadé des danseurs en mouvement. Il ne me restait plus qu'à me rappeler des images. Ca avait dû se passer dans la salle de danse. C'était le seul endroit où cette scène aurait pu se dérouler. Ca m'énervait de ne pas voir des images. Non, l'homme me disait quelque chose, mais l'avais-je vu en tant que professeur, en danseur, en spectateur ? J'en avais aucune idée. Peut-être que son nom allait me dire quelque chose. Mais je voulais le laisser répondre. Je ne voulais pas paraître trop bavarde, même si c'était largement le cas. J'avais envie de danser, de virevolter à nouveau. Mais ça n'était pas vraiment très poli pour mon interlocuteur. Je m'assis au sol, et défis mes pointes rosées. Je me levais et allais me présenter.
"-Je suis Ambroisia Trendle. De la Maison des Cygnes comme vous pouvez le constater."
Quelle présentation neutre... Je ne sais pas comment j'ai réussi à mettre aussi peu d'émotion dans ma voix. Il est rare que je parle avec aussi peu d'entrain. Mais comme je ne connais pas la personne, donc ses réactions, il vaut mieux parler d'une manière à ne pas l'outrer. Je voulais me rappeler pourquoi je connaissais cette personne. Je le voulais à tout prix, mais les souvenirs m'échappaient, me fuyaient, comme si j'essayais d'attraper de la vapeur. Je voulais connaître cet homme qui me rappelait vaguement quelque chose. Il avait la posture d'un danseur.

"-Que diriez-vous de danser plutôt que de converser ? Nous en apprendrons autant."

Spoiler:

"Oui, je viens d'arriver. Enfin... Je reviens dans l'établissement à vrai dire, j'étais élève ici avant. Je rejoins mon frère. "

Pourquoi est-ce qu'il lui disait ça ? Il n'allait pas commencer à étaler sa vie à chaque personne qui lui tombait sous la main, parce que s'il le faisait, ça allait être salement catastrophique pour son image de professeur. Mais bon, c'était vrai qu'Aldébaran avait un peu beaucoup de mal à ne pas essayer de sympathiser avec tout le monde, surtout quand il s'agissait de son ancienne école, celle où il avait passé une grande partie de sa scolarité, et donc de sa vie. Même s'il se doutait quand même que dire à cette élève qu'il était revenu ici pour Antarès n'allait pas l'aider plus que ça pour déterminer qui il était, surtout qu'elle ne connaissait sûrement pas son frère en fait, vu qu'elle était apparemment en Cygne, et lui en Baroque, et qu'il avait en général un peu de mal à aller vers les autres (sauf si son caractère s'était un peu ouvert ses derniers temps, ce qui était également probable). Bref, il se rendait compte que ça faisait longtemps qu'il n'avait pas recroisé Antarès avant l'enterrement, et qu'il serait sûrement temps qu'il réapprenne à le connaître, pour voir s'il avait changé ou s'il était resté le même qu'avant.

Aldébaran observa la jeune fille enlever ses chaussons, des pointes. Roses. Puis elle se releva, se présentant à lui de la manière la plus formelle qui était, comme on récitait son matricule à l'armée, quoiqu'en peut-être un peu plus phrasé, tout de même. Ambroisia Trendle. Ce nom ne lui disait rien à première vue, elle n'était peut-être pas dans ses élèves, ou alors il avait dû la rater quand il avait survolé les listes, ou bien il l'avait vue mais il ne s'était pas spécialement rappelé de son nom, ces deux dernières possibilités étaient hautement probables vu son niveau de fatigue. La neutralité de sa présentation lui rappela un peu son frère, une fois de plus. En ce moment, tout tournait autour d'Antarès, dans sa tête, et il se rendait bien compte qu'il faudrait qu'il l'oublie au bout d'un moment, juste histoire de penser correctement.

"Aldébaran de Beauséant. Si c'est trop compliqué à retenir, tu peux toujours dire "Alde", ça marche aussi. "

Et maintenant, elle lui proposait de danser. Après tout, c'était pour cette raison qu'il était venu dans cette salle en premier lieu, outre le fait qu'il fallait éventuellement qu'il se remette en mémoire le plan de l'Académie, chose qui était d'ailleurs faite dans la majeure partie. Elle avait eu l'air de s'être calmée, alors peut-être qu'elle était prête à se remettre à l'effort physique, du moins pour quelques minutes, le temps de danser un petit peu. Bah, ils verraient. Aldébaran haussa les épaules avec un sourire et lui tendit la main.

"Aldébaran de Beauséant. Si c'est trop compliqué à retenir, tu peux toujours dire "Alde", ça marche aussi. "
Aldébaran... Quel nom peu commun. Et il me disait d'autant plus quelque chose... Mais ne serait-ce pas le nom du frère d'Anta ? Oui, je le croyais fortement. Et puis tout se tenait. Le nouveau professeur était le frère d'Antarès. Waw... Il me tendit la main, vu que je l'avais "invité" à danser. Je ne pris pas la peine de me rechausser. J'étais très bien pieds nus aussi. Et sans musique. Pas grave. Je commence par une pirouette. Puis je reprends sa main et le regarde. Bien droit dans les yeux. Et je me rappelle.

FLASH-BACK

Impossible. C'est impossible, je n'y arriverais jamais. Il n'y a qu'à voir les autres. A la manière dont elles glissent leurs écarts, ou réussissent leurs talons à la main..Comment ai-je pu espérer être aussi douées qu'elles ? La plupart ont reçu des cours de danse, de professeurs très respectables. Moi j'ai appris dans la rue, en copiant des élèves, sûrement imparfaites. Mes techniques sont mauvaises depuis la racine. Je n'ai pas ma place ici, j'en suis sûre. Et comment mon père a pu savoir comment je dansais ? Il ne m'a plus jamais vue depuis le divorce. Je ne sais pas. Il s'est fait des idées sur celle que je suis. Je sens les larmes couler lentement sur mes joues. J'ai oublié mon sac dans la salle de danse. Je pousse les portes qui y mènent et le trouve rapidement. Je vois un garçon qui danse. Il danse bien. Tous ses mouvements sont parfaits. Je reste assise sur le banc, au fond, dans l'ombre. On a le droit de regarder, du moment q'on ne gêne pas les cours. Il doit être de ceux qui terminent leur scolarité. Malgré tout le prof ne semble pas satisfait et explique les erreurs du garçon. Et je comprends. Je comprends que personne n'est parfait, mais qu'on a rien sans rien. Je ne dois pas perdre espoir. Après tout, j'ai encore de longues années devant moi pour devenir une meilleure danseuse. Je ,ne dois pas me laisser abattre. Je suis ici pour apprendre. Sinon, autant aller directement à l'opéra. Je regarde le garçon une dernière fois. Nos regards se croisent.
"-Tu peux mieux faire Aldébaran, lui dit le prof."
Je sèche mes larmes. Je ferme mon sac et me lève. Je murmure un "Merci"inaudible, en sortant de la salle. Merci Aldébaran. Je crois que je ne t'oublierais jamais.

FIN DU FLASH-BACK

Nous dansons toujours. Et ce souvenir me revient. Je revois tout. Et, alors que nous dansons, je revois le banc dans l'ombre, et je crois apercevoir une petite fille, assise, qui sourit. L'effet de mon imagination. Sans cesser de virevolter avec grâce, je dis au professeur :

"-Je me souviens où je vous ai vu. C'était il y a bien longtemps. Cinq ans à peu près. J'étais venue chercher mon sac, que j'avais oublié, le moral brisé, persuadée que je n'avais pas ma place dans cette école. Et je vous ai regardé danser. Et vous m'avez redonné confiance en moi. Nous ne nous sommes jamais adressé la parole. "

C'est la première fois depuis le début de la conversation que je parle autant. Et vu qu'il n'a pas l'air fan des phrases qui font trente kilomètres, j'appréhende sa réponse. Un "Je vois" ou "Tu as raison", je pense. Ce sera amplement suffisant.

HS : C'est court et t'as pas trop matière à répondre, déso :/

Ils étaient toujours en train de danser, depuis quelques minutes déjà, et sa jeune cavalière temporaire semblait un peu perdue dans ses pensées, même si elle ne perdait pas le fil de ses gestes. Qu'est-ce qui pouvait occuper son esprit à ce point ? Peut-être qu'elle était préoccupée par la justesse de ses mouvements, parce que danser avec un professeur l'intimidait ? Non, c'était absurde, elle devait sûrement avoir l'habitude, elle était élève ici après tout. Ou alors elle n'était tout simplement pas réveillée, et elle se replongeait dans son rêve de cette nuit... Quoiqu'il était peut-être un peu tard pour faire ça, sauf si elle s'était levée il y a peu de temps, ce qui était également peu probable vu comme elle avait l'air d'avoir dansé pendant longtemps avant qu'il entre dans la salle. Non, vraiment, il fallait qu'il arrête d'essayer de deviner ce qu'il se passait dans la tête des gens, il était beaucoup moins doué que son frère.

Puis, elle eut l'air de se réveiller un peu. "Je me souviens où je vous ai vu". Ah bon ? Ils s'étaient déjà croisés avant ? Eh bien, à vrai dire, si elle faisait partie de l'Académie depuis assez longtemps, ça pouvait éventuellement être possible. Ah, elle confirmait son hypothèse d'ailleurs, environ cinq ans ? C'était il y a assez longtemps. Qu'est-ce qu'il faisait il y a cinq ans d'ailleurs, est-ce qu'il avait le souvenir d'une très très jeune fille qui le regarderait danser ? C'était très flou dans sa mémoire, il s'était déjà exercé devant pas mal de monde alors c'était plutôt difficile à dire. Peut-être que s'il avait eu une photo d'elle à l'époque sous les yeux il l'aurait reconnue. Après, il y avait cette histoire de "moral brisé", qui s'ajoutait à ses critères de recherche.

"Hmpf... Très probable. De toutes façons, tu n'es pas sans savoir qu'on ne prend pas les gens au hasard, dans cette école, et que si tu as pu y rester jusque là c'est que tu as un vrai talent. "

Bien sûr, il était au courant qu'il lui disait ça cinq ans plus tard, alors qu'aujourd'hui elle n'avait plus aucun problème. Mais qu'importe ?