Inattendue, c'était le moins que l'on pouvait dire.
Le week-end était passé, avec son lot de nouveautés dans la vie de Peeta ; ce dernier avait, en effet, fait la rencontre -pour le moins douloureuse sur les premiers instants- d'une jeune fille plutôt intéressante et assez différente de ce qu'il avait pu observer jusqu'à présent. De fil en aiguille, ils en étaient même arrivés à discuter de sujets philosophiques directement dans sa voiture à lui !
Depuis quand raccompagnait-il des gens, hein ?
Bah voilà. C'est vous dire qu'il était un peu sorti de sa bulle, pour une fois.

En tout cas, il s'était surpris lui-même à proposer une collaboration entre musicien et écrivain ; en effet, après être tombé sur un feuillet de la jeune fille qui comportait ses propres mots, Peeta avait apprécié la lecture inattendue. Après quelques temps à bavarder avec cette demoiselle, il en était venu à la conclusion qu'il pourrait essayer, pour la première fois, de chanter un texte qui n'était pas le sien.
Qu'est-ce que cela réservait-il comme aventure ? Allaient-ils réellement bien s'entendre ? En tout cas, l'impatience gagnait le jeune homme...

La fin des cours avait retentit quelques minutes auparavant. Sa classe avait terminé dans cette salle de musique et, pour personne, cela n'a été une surprise de voir Peeta rester tranquillement assis sur son siège, le regard plongé vers l'extérieur. Même le professeur n'y faisait plus attention.
Lorsque l'écossais fut seul, il cligna des yeux et regarda sa montre. Est-ce que Héloïse avait, elle aussi, terminé les cours ? Se rappelait-elle de leur rendez-vous musical ?
Il poussa un soupir, donna un coup de pied dans son sac à bandoulière et se leva. Ses pas le conduisirent vers les instruments, notamment le piano dont il effleura le bois verni. Il s'installa sur le tabouret face aux touches blanches et noires, puis débuta un morceau qu'il connaissait par cœur :

Le morceau ne durait pas longtemps, certes, mais il l'appréciait tellement qu'il le recommença trois fois de suite.
Pensivement, il tourna la tête vers la porte grande ouverte qui donnait sur le couloir ; personne ne semblait présent. Aucun bruit de pas ne se faisait entendre. Sûr d'être seul, ses doigts entamèrent une nouvelle mélodie ; triste, amère. Un goût d'amertume dans la bouche, Peeta ouvrit les lèvres et débuta la chanson de sa voix rauque et mélancolique.

Le son de sa voix était quelque peu différent de celui du chanteur original, Gary Jules. Mais ses intonations concordaient parfaitement bien avec la mélodie.
Lors du petit refrain, il ne prononçait "Mad World" qu'une seule fois.
Lui, Peeta, dans sa bulle solitaire, livrait un combat contre lui-même pour œuvrer sur cette chanson si calme. Il aurait pu choisir un autre titre, un autre chanteur. Il aurait pu même faire l'une de ses propres chansons. Mais non.
Mad World, de Gary Jules, a été le premier titre à s'imposer dans sa tête aujourd'hui.

Une fois la chanson finie, il laissa planer la dernière note pendant un long moment en fermant les yeux. Ses doigts lui faisaient un peu mal, bizarrement. Etait-ce le froid ? Sûrement.
Il releva les épaules, remonta son écharpe, puis fixa le plafond dans le silence, les mains jointes entre ses cuisses.

Dehors, le soleil se couchait. Les tons orangés du crépuscule donnaient à la pièce une atmosphère apaisante et rêveuse. Les élèves se bousculaient dehors, chahutaient tellement fort qu'on les entendait du premier étage. Le premier jour de la semaine était achevé. Du moins, pour certains...
Peeta fixait toujours le plafond blanc, trop blanc. Il y imaginait un décor bleuté et étoilé avec des orques en toute liberté. Un long soupir traversa ses narines et il ferma les paupières une nouvelle fois, attentif à ses songes. Il croisa les bras sur son chemisier noir à manches longues, nicha son nez dans son écharpe.
Ses doigts voulaient encore jouer sur le clavier, mais il ne devait pas abuser. Surtout qu'il attendait quelqu'un... et qu'il n'était peut-être pas encore prêt à jouer face à quelqu'un qu'il connaissait -même un peu.

- Heu, Peeta? Tu es là?

Peeta rouvrit les yeux, se glissa de côté sur son tabouret pour faire face à la porte ouverte. Il décroisa les bras, étira ses bras encore ses cuisses, assis les jambes écartées. Décontracté. Nonchalant. Cool.
Son regard ambré guetta la sortie, là où son ouïe avait perçu la petite voix qui le questionnait sur sa présence. Devait-il y répondre ? Ou attendre que la jeune fille entre ?
A peine s'était-il posé ces questions que Héloïse fit son entrée.

- Salut, prononça-t-il de sa voix sombre.

Son visage semblait toujours autant impassible. Ce masque d'indifférence cachait bien des choses, certes.
Il pencha la tête sur le côté d'une manière canine -manquait plus que les oreilles.

- Comment tu vas ?

Bubup ! C'est le genre de questions que posent les gens qui se ressemblent, nan ? Le genre de questions stupides, qui n'engagent en rien une bonne conversation.
Mais bon, passons.
La jeune fille avait tout de même le droit de répondre, maintenant qu'il avait prononcé cette question.
Il se sentit un peu con, en fait. Comment devait-il gérer un moment qu'il ne connaissait pas ? Comment devait-il gérer l'inconnu ? Pour la première fois de sa vie, il allait tenter un duo. Il allait devoir partager sa voix et ses mains à des paroles qu'il n'écrirait pas lui-même.

- Mmh... Tu as une idée, à savoir par où il faut commencer ?

Le jeune homme esquissa un très fin sourire contrit, un peu dépassé par ce nouvel évènement.
Bon, il fallait aussi qu'il laisse à Héloïse le temps de s'installer !
Il se gratta l'arrière du crâne, s'ébouriffa les cheveux, un peu perdu.

- ça va merci. Et toi?

Peeta ne fit qu'un simple hochement de tête pour répondre que ça allait, avant d'enchaîner sur la suite. Il observa la jeune fille réfléchir à sa question, se triturer les méninges pour trouver un semblant de plan de manœuvre. Si aucun des deux ne savaient par où commencer, cela risquait d'être fortement plus difficile encore que ce que l'écossais craignait.

Ce fut pendant que Héloïse s'attachait gauchement les cheveux -d'ailleurs, Peeta apprécia que la jeune fille ne se passe pas une brosse dans les cheveux. Elle semblait bien plus naturelle ainsi, et cela lui allait très bien - que la logique se fit dans sa tête : s'il tapait sa partition au piano, Héloïse pourrait se faire une idée un peu plus précise et pourrait alors, dans ce cas, commencer à trouver quelques mots.
Oui, c'était ça le plus logique.
Alors, quand la jeune fille lui fit part des mêmes pensées que lui, Peeta esquissa un très léger sourire.

Il se leva de son tabouret pour rejoindre son sac à bandoulière, grossièrement étalé par-terre à côté du bureau le plus au fond de la classe -là où il s'asseyait en cours. Il saisit la lanière, posa l'objet d'un geste vif sur la table et sortit une chemise en carton. Il ouvrit cette dernière et en sortit plusieurs feuilles en vrac.
Deux d'entre elles attirèrent ainsi son attention.
Satisfait, l'écossais rejoignit le piano et s'installa devant une nouvelle fois. Il prépara ses feuilles, sur lesquelles ses propres notes figuraient, recto-verso. Il avait écrit quelques annotations, supprimer des endroits, rajouter d'autres. En gros, c'était purement brouillon.
Mais il aimait ce fouillis.

- Bon. Je te préviens simplement que je ne l'ai jamais terminé. Alors peut-être... pourras-tu y apporter une conclusion.

Il jeta un coup d’œil vers Héloïse, essayant de noyer son angoisse et de partager plutôt un moment de complicité.
Puis ses doigts se mirent en mouvement...

Les notes commençaient dans les aigus, lentement, prestement. Une petite introduction mélancolique qui se mariait bien avec ses yeux soudain plus brillants.
Puis s'enchaîna une mélodie plus pure, mêlée à la fois d'un espoir vain et d'un manque profond. Il partageait sa vie dans ces notes. Les graves accompagnaient les aigus, puis juste les graves continuaient. Inlassablement.

Héloïse arriverait-elle à mettre des mots là-dessus ? Trouverait-elle cela trop barbant ? Sans vie ? Sans goût ?

Comme prévu, la partition n'était pas achevée et la musique se termina sur une note grave en suspens, rapidement tapé sur une touche blanche avant que Peeta ne laisse ses doigts en apesanteur.
Après un moment de silence, l'écossais tourna la tête vers son interlocutrice. Une mèche de cheveux noirs lui barra le visage, cachant un œil. Il plissa un peu le nez, se mordilla légèrement la lèvre inférieure, puis se gratta l'arrière du crâne -ce geste ne prouvait que son irritation.

- Peut-être que mes litanies ne paraissent que trop amères aux oreilles. Désolé.

Que ressentait-elle, elle ?

Il a fallut à Peeta un petit moment pour se rendre compte que la jeune fille pleurait. Lorsque son esprit nota cette réalité, il écarquilla un peu les yeux de surprise. Sa musique avait été horrible ? Ou, au contraire, trop sincère ? Il ne saurait le dire. C'était bien la première fois qu'il était dans ce genre de situation.

- C'était magnifique, souffla-t-elle.

Magnifique, mmh ? Etait-ce normal de pleurer sur quelque chose qu'on qualifie de magnifique ?
Peeta leva son regard vers le plafond et réfléchit à cette question.
S'il rencontrait un jour des dauphins, ou des baleines, que ressentirait-il ? Et, surtout, comment se comporterait-il ? Certainement pleurerait-il aussi, au fond. Car ce serait un moment magnifique.

-Excuse moi, je ne peux pas les retenir.

Peeta reporta son attention sur la jeune fille et esquissa une petite moue de malaise.

- Ne t'excuses pas, ce n'est pas de ta faute.

Par un élan de gentillesse, il quitta son tabouret pour aller chercher un paquet de mouchoir dans son sac. Paquet qu'il tendit ensuite à Héloïse. Sa mèche toujours devant l’œil, il esquissa un léger sourire désolé.

- Mon but n'était pas de te faire pleurer.

Il se gratta une nouvelle fois l'arrière de la tête puis se rassit sur son tabouret. Un instant, ses doigts effleurèrent les touches qu'ils venaient de quitter. Ses prunelles se promenèrent sur sa partition inachevée.
Avait-il un avenir musical, tout compte fait ?
En tout cas, si tel était le cas, l'avenir serait très court.
Peeta reposa ses yeux sur Héloïse. Devrait-il partager son plus lourd secret pour qu'elle puisse comprendre un peu cette amertume qui l'habitait ? Et, peut-être aussi, trouver des mots à placer sur cette musique ?

Un long soupir traversa ses lèvres. Son regard se jeta sur le côté.

- Je comprendrais si tu changes d'avis.

Il avait prononcé ces mots sans s'en rendre réellement compte. Mais, au fond, Héloïse était-elle assez prête pour collaborer avec lui ? Arriverait-elle, ne serait-ce qu'un peu, à accepter sa personnalité si... fuyante ?

- Non, je souhaite continuer. Nous pouvons le faire ensemble. Je vais faire ce que je peux, ne t'inquiète pas.

Etait-ce raisonnable de continuer ? N'étaient-ils pas tous les deux en train de faire une erreur monumentale ? Peeta s'ouvrait pour la première fois depuis bien longtemps, certes. Et Héloïse allait sacrifier de son temps pour manipuler des mots sur une de ses partitions.
Où allaient-ils, tous les deux ?
Peeta semblait réfléchir à tout et n'importe quoi. Son regard était pensif, un peu fuyant. Littéralement plongé dans la solitude que son existence lui avait offerte.

- Tu sais, j'ai l'impression que nous ne savons pas sur quel pied danser tout les deux. Apparemment, nous n'avons pas commencer par le début.

Pas commencés par le début ? Fallait-il toujours créer des liens pour avoir un début ?
Peeta posa ses prunelles ambrées sur la jeune fille. Que devait-il comprendre, réellement ?

- Je crois que nous devrions essayer de nous connaître un peu mieux avant de continuer. Si tu es toujours d'accord bien sûr.

La surprise étira un peu les traits du visage de l'écossais. Ce dernier releva les manches de son chemisier noir, ignora sa montre à son poignet et joignit les mains entre ses cuisses, entrecroisant ses doigts.
Ensuite, il se pencha en avant, les jambes toujours nonchalamment écartées, les coudes sur les cuisses.
Il fixa un instant le sol, dans cette position de jeune Caïd.

C'était lui qui avait proposé à Héloïse cette collaboration entre eux ; il n'avait pas réfléchi à tout ce que cela impliquait en conséquence. Bien entendu, il ne changerait pas d'avis à ce sujet, il voulait avoir les mots de cette jeune fille sur sa partition. Il le DEVAIT !
Les coudes toujours sur les cuisses, il se prit la tête dans les mains, s'ébouriffa les cheveux en poussant un grognement défait, taraudé.
Enfin, il redressa à nouveau le dos et inspira une bonne bouffée d'air.

- Très bien. Je pense... qu'il faut un minimum pour avancer. Je vais faire des efforts.

Ses yeux ambrés fixèrent alors Héloïse, le visage à nouveau impassible.

- Mais il faudra que tu me promettes une chose.

Il garda le silence un instant. Fallait-il vraiment imposer cette limite ? Pour lui, oui. C'était égoïste, mais il le devait. Pour protéger les autres, des sacrifices devaient être faits ; et cela passait par le fait que Peeta devait, jusqu'à la fin, rester seul dans sa bulle.

- Ne pas s'attacher à moi. Amicalement, ou autre.

C'était dur et direct.
Franc et triste.
Peeta imposait cette horrible limite. Les partages seraient plus difficiles, certes. Mais si Héloïse poserait des questions, il y répondrait sincèrement. Cependant, pas d'amitié, pas d'amour, pas de compassion, pas de pitié. Rien. L'indifférence ou la haine étaient encore les seules choses qui pourraient sauver les autres de lui-même.

Il se tourna face au clavier du piano et posa deux doigts sur deux touches dans les aigus. Les notes résonnèrent l'une après l'autre à intervalles réguliers.

[b]

- Désolé d'imposer cela. Mais il le faut...,[b] murmura-t-il au son du piano.

Au fond, il savait qu'il ne pouvait pas contrôler les émotions et les sentiments des autres. Pourtant, il essayait.

Devait-il regretter ses mots ? Oh, une part de lui en ressentait déjà les effluves. Sa franchise était malpolie et égoïste, certes. Pourtant, il savait que c'était la meilleures des choses à faire. Aussi cruel que cela paraisse.
Il sentit bien que Héloïse le prenait très mal. Qu'elle s'était tout simplement reculer instinctivement.
Combien de fois avait-il vu les gens se replier à cause de ses propres mots ? Il ne saurait compter. On lui avait balancé des poings au visage, des baffes, insulté. Détesté.
Mais il avait certainement épargné ces gens-là d'une douleur bien pire encore.

- Non, ne te force pas à répondre à mes questions. Je n'ais pas pour habitude de réduire les gens qui m'entourent à faire ce qu'ils ne veulent pas pour satisfaire des caprices ou ma curiosité. Si tu veux parler, alors fait le. Mais de toi-même.

Peeta ne put retenir un sourire résigné.

- Tu contiens un peu mal ta colère contre moi, tu sais ?

Puis il leva les yeux vers le plafond blanc de la salle de musique. Etre franc et direct, c'était sa nature, sauf exceptions. Et puisqu'il avait déclaré formellement qu'il ne fallait pas s'attacher à lui, il devait bien une explication. Il fallait la donner.
En espérant que Héloïse comprenne.
Allait-elle le rejeter ? L'insulter ? Le frapper ? Peeta en avait l'habitude, de toute façon. Ce n'était pas pour rien qu'il évitait soigneusement l'être humain en général, sauf pour des relations sans lendemain.
Il prit une profonde inspiration, reposa ses prunelles sur la jeune fille. Ses yeux brillaient légèrement sous l'amertume de son aveu. Il plaça une main sur son torse, à l'endroit de son propre cœur.

- Je peux mourir à tout moment.

BAM ! On ne pouvait pas faire plus clair. Ou bien ?
En tout cas, il attendit patiemment la salve d'insultes qui allait suivre. Il ferma les yeux, bien prêt à affronter la colère de Héloïse, comme il avait affronté la colère de bien d'autres avant elle.
Mais avant, sa voix sortit à nouveau. Grave murmure dans cette salle silencieuse à l'atmosphère tout à coup sombre :

- Je sais que ça paraît égoïste de faire fuir les gens. Mais ça évite des souffrances inutiles.

Ou pas.

- Tu ne m'aides pas beaucoup là. Tu sais, je suis très loin d'être une lumière je l'avoue, je ne comprends toujours pas. Je pensais que tu en avais contre l'humanité toute entière, ensuite que tu m'en voulais à moi. Et maintenant, j'aurais tendance à penser que tu veux faire ça pour protéger les autres, et peut-être toi aussi. dis moi où est-ce que je me suis trompée.

Elle ne partait pas ? Ne le frappait pas ? Ne l'insultait pas ? Peeta écarquilla un peu les yeux sous la surprise et garda sa bouche entrouverte un petit moment. Il resta silencieux le temps d'avaler les mots de la jeune fille et, surtout, de les comprendre.
Que devait-il répondre ? Lui-même se sentait bien trop compliqué pour expliquer tout ce que Héloïse voulait savoir.
Il fixa le sol, puis se leva et approcha d'une fenêtre. Il colla son front contre la vitre froide et observa les couleurs orangées de la fin de journée. Lorsqu'il ouvrit la bouche, de la buée se forma sur le verre :

- J'ai pas franchement eu de bonnes visions du monde. Je ressens de la haine vis-à-vis de l'être humain pour le mal qu'ils font à la nature elle-même, sa faune et sa flore. En contre-partie, je fais en sorte de rester loin d'eux. Je sais ce qui m'attend et...

Son soupir élargit la tâche de bouée sur la vitre. Il ferma les yeux et souffla secrètement :

- J'ai peur. Je suis mort de trouille à l'idée qu'on s'attache à moi et que je m'attache à quelqu'un.

Il se décolla de la fenêtre, guetta encore un peu les lumières du couchant puis se retourna vers Héloïse en s'adossant à la vitre.

- Y a eu trop de morts dans mon passé ; mes parents, mon cousin. Les animaux que j'ai voulu aidé.

Son esprit revit ce jour fatidique où les flammes avaient rongé la maison qui abritait un jeune chiot qu'il avait trouvé ; il s'était précipité à l'étage, s'était brûlé le bas du dos et avait sorti l'animal de là. Mais le petit avait succombé, un peu plus tard, à cause de la fumée respirée.
Peeta haussa les épaules nerveusement.

- Je n'ai pas une histoire bien intéressante. C'est juste... que j'y reste attaché malgré tout.

Ses yeux ambrés fixèrent la jeune fille.

- Mais je suis sérieux : je peux mourir à tout moment. J'ai un problème de santé, là, fit-il en montrant son cœur d'un geste de la main. Maintenant que tu sais tout ça... Vas-y, libères-toi de ce que tu penses de moi.

Il était prêt à affronter le courroux de tout le monde, si sûr d'être pathétique.

- Je ne sais pas par où commencer.

Ca promettait d'être long. Peeta reposa son regard sur le sol ; c'était évident qu'il allait encore s'en prendre plein la tronche. Cela lui importait peur, il en avait l'habitude. Peut-être même que Héloïse allait lui faire une morale sans queue ni tête, sans début ni fin.

- Chacun à sa propre histoire. Personne n'a à juger si elle est intéressante ou non. Tu te dévalorise.

Il ne la coupa pas, par respect. Elle ne l'avait pas empêché de parler, il n'avait donc pas à le faire lui. Il inspira une bouffée d'air, ferma les paupières. Se dévalorisait-il ? Sans doute. C'est surtout qu'il se complaisait dans ce qu'il connaissait le mieux : faire parti du décor.
Peeta ne cherchait aucunement à se montrer.

-Je pense que tu te focalise trop sur la mort. Ce serait mentir de d'affirmer que ton problème de santé n'est pas grave. Personne n'est à l'abri de la mort, elle peut surgir n'importe quand et pour n'importe qui et sous bien des formes. Mais là, je ne t'apprends rien.

Ceci était entièrement logique ; un début entraînait une fin.

- Je me trompe peut-être mais je pense que tu a vécu la perte de tes parents comme une trahison. Alors pour ne plus souffrir, tu t'es renfermé sur toi même. Le repli est en effet une protection mais à double tranchant. Tu t'es coupé du monde extérieur et de ce qui t'entoure. Sans prendre part à ta propre vie. Exceptée pour les animaux.

Elle se trompait, oui. Au fond, il s'en fichait de ses parents ; ils n'avaient jamais été là, même de leur vivant. Éloignés de son cœur. Se sentait-il trahi ? Non, pas vraiment. Pourtant, il ne pourrait pas mettre de mot exact sur ce qu'il avait vécu.
Il leva les yeux vers le plafond, croisa les bras sur son torse.

-Je pense que ta vision du monde est faussée, et le sera tant que tu n'aura pas élargie ton champs de vision ta manière de voir. Parfois, même si c'est difficile, il faut prendre du recule, mettre un instant de côté ses préjugés et se poser des questions. dont la réponse ne sera pas toujours évidente à trouver. Mais je pense qu'une fois que ce sera fais, tu seras plus en paix avec toi même et avec ce qui t'entoure.
Tu n'as pas de rêves, et tu te persuade de ne pas avoir d'avenir n'est ce pas? Que ta vie est trop courte pour que tu fasses quoi que tu accomplisse quoi que ce soit. Mais qu'en est-il réellement?

Vu de l'extérieur, ce que Peeta avait au fond semblait simple. Ce qu'il gardait secrètement et jalousement dans son âme était interprété de façon trop simpliste. Peut-être devait-il l'accepter. Lui-même ne pouvait réellement expliquer ce que cachait la noirceur qui l'entourait. Mais, dans sa bulle, il se sentait protégé.
Il n'avait pas envie de rêver. Pas envie de se créer l'illusion d'une vie heureuse dont trop de gens déjà se leurrent. Il n'avait pas d'avenir, c'était un fait, non pas un choix.
Il haussa simplement les épaules.

- Je vis au jour le jour, c'est tout. Beaucoup de personnes pensent à leur avenir plutôt que de profiter du présent.

Petite pause.

- Je suis peut-être loin des humains en général, mais je m'y complais. Je n'ai pas envie d'être "comme tout le monde". Je n'ai pas envie de me focaliser sur ce que je n'aurais pas.

Héloïse pouvait dire ce qu'elle voulait. Bien que Peeta analysait longuement ses phrases, ses convictions ne changeraient pas. Il s'était forgé dans chaque présent vécu, se battant de ci de là hargneusement, sans oublier sa maladie qui l'empêchait de faire certaines choses -comme courir à en perdre haleine.
Pour des yeux extérieurs, Peeta n'avait rien vécu du tout. Pour lui, il avait tout simplement erré en observant, chose qui lui suffisait.
Qui avait-il de mal à ça ?

- Je ne recherche rien. Je n'attends rien. J'écris des partitions, je chante, je joue d'un instrument, j'aide les animaux. J'observe. Et c'est déjà beaucoup pour une seule vie.

Ou pas ?
En tout cas, lorsqu'il se comparait à des personnes qu'il croisait dans la rue, il ne pouvait s'empêcher de se dire qu'il y avait pire que lui.

Il se décolla de la fenêtre et retourna s'asseoir devant le piano. Son regard ambré suivit les touches. Il se demanda si, au final, la collaboration n'allait pas prendre fin avant même d'avoir commencé. Peut-être en avait-il trop dit.
Et un léger sourire en coin s'installa à ses lèvres.

- A mon avis, ce qui dérange le plus, c'est justement que je me montre différent. Y a des moments, j'ai bien l'impression de ne pas faire parti de ce monde-là. Peut-être ne suis-je qu'un extraterrestre égaré ?

Ouais, c'était con. Et pourtant, c'est ce qu'il ressentait au fond.

-Je t’envie. A t’entendre parler, l’on pourrait croire que rien ni personne ne peux t’influencer.

N'était-ce pourtant pas l'être humain qui l'avait influencé à se couper du monde ? Sa maladie cardiaque était-elle la seule cause de son éloignement ? Pourtant, les paroles de la jeune fille interpellèrent Peeta ; il l'observa à la dérobée et esquissa un très fin sourire triste avant de continuer sur sa lancée.

Il parla donc finalement d'extraterrestre. Il perçut le hochement de tête de Héloïse et arqua légèrement un sourcil. Le trouvait-il si peu humain ? Ou hochait-elle la tête d'un air entendu, comme si elle éprouvait la même chose ?
Elle répondit vite à la question.

- Ah non ! Enfin, je veux dire que… il y a pas d’extraterrestre. Mais je…

Pas d'extraterrestre, hein ? Un fin sourire étira les lèvres de l'écossais. L'univers était si vaste. Pour lui, il était évident que la vie pouvait se trouver ailleurs, dans une autre galaxie. La planète Terre ne pouvait pas être la seule planète Bleue de tout l'espace sans limites.
Mais là n'était pas la question.
Pas d'extraterrestre. Ce qui voulait signifier qu'elle comprenait ce qu'il disait ; elle-même se sentait souvent différente.
Et pas forcément dans de meilleures conditions.

- Désolée, je ne sais plus trop ce que je dis des fois. Faut pas y faire attention quand ça me prend.

Peeta hocha la tête d'un air entendu en souriant très légèrement. Pour l'instant, il restait silencieux. Il s'attendait à ce que la jeune fille se lève et parte, tout simplement. Pour lui, c'était une logique mise en œuvre par sa propre franchise. Et pourtant, Héloïse l'étonna.

- Merci pour cette conversation, c’était très instructif et intéressant. On peut parler quand tu veux.

- Parler quand je...

Il se stoppa net, écarquilla les yeux. Ses oreilles avaient bien entendu ? Pour la conversation instructive et intéressante, d'accord. Mais venait-elle de lui proposer de reparler à nouveau ?
Il l'observa. Elle allait se mettre au boulot. Tout simplement.

- Bon, ce n’est pas le tout de discuter, mais on a du boulot. Est-ce que tu pourrais rejouer le morceau s’l te plaît ? Je ne pleure plus promis.

Héloïse était restée là. Elle n'avait pas bougé de sa place, l'avait écouté et analysé. Ils avaient échangé une conversation, Peeta avait même avoué sa maladie. Et la jeune fille était toujours décidée à rester.
C'était tellement étonnant que Peeta entrouvrit les lèvres un instant avant de s'adresser à elle à nouveau.

- Tu... ne me fuis pas ?

Il s'ébouriffa les cheveux.

- Je veux dire ; tu es toujours prête pour cette collaboration ?

Il ne parla plus de la promesse -qu'elle n'avait pas faite, d'ailleurs- de ne pas s'attacher à lui de quelque manière que ce soit. A bien y repenser, c'était égoïste de sa part. Et Héloïse, après cette conversation, lui semblait bien plus forte qu'elle ne lui avait semblé au départ.
Elle savait pour sa maladie. Et elle restait.
Il n'arrivait tout simplement pas à y croire.

- Je me mets au boulot aussi, alors.

Il se tourna face au piano et positionna ses doigts après avoir remis les feuilles au recto. Ses lèvres se pincèrent sous l'émotion nouvelle qu'il ressentait en lui -était-ce de la joie ?- puis il se mit tout simplement à jouer.
Toujours ce rythme mélancolique, ces notes aigües, partagées par les graves.
Et quand il arriva au bout de sa seconde feuille, la fin qu'il n'avait pas trouvé à cette partition s'insinua dans ses doigts.
Cinq notes coulèrent légèrement, vers le grave.

Il retira ses mains et soupira d'aise. Puis, d'un seul coup, il se leva -manquant de peu de faire tomber le tabouret-, s'élança vers son sac d'où il tira un crayon, puis revint vers le piano pour rédiger les notes finales sur sa partition.
Et il fit face à Héloïse.

- J'ai trouvé une fin, finalement. Tu as des idées, toi ? Je rejouerai autant de fois que tu voudras.

C'était bizarre. Parler avec elle n'avait pas fissuré la conversation. Ils s'entendaient bien, qu'il soit malade ou non.
C'était vraiment bizarre, pour lui.

- Mhh... il faudrait que l'on se mette d'accord avec le thème. Je commence à avoir un début d'idée. Mais il faut que ça se précise. Autant de fois que je le veux? Tu en es bien sûr?

Héloïse rit. Peeta l'entendait rire pour la première fois. Depuis la mort de son cousin, avait-il seulement entendu quelqu'un rire à ses côtés une seule fois ? L'écossais apprécia la sonorité de ce rire, qui s'insinua à travers son aura de solitude.
Un vent frais.
Le jeune homme croisa les bras sur son torse de manière décontracté et sourit ; un sourire vrai, large et non retenu, qui produisit une fossette à chaque coin de sa bouche.

- N'abuses pas de ma gentillesse quand même, prononça-t-il d'un ton malicieux.

- Je pourrais l'écouter en boucle pendant des heures et des heures tu sais.

Peeta repensa à toutes ces soirées passées à jouer pour des gens qu'il ne connaissait pas, dans ces restaurants parfois réputés. On l'applaudissait quelque fois. Des larmes avaient été versées. Mais il n'avait jamais joué l'un de ses propres morceaux.
Là, de ses propres notes, il avait touché quelqu'un. Son regard se posa à nouveau sur Héloïse et il l'observa. Qu'avait-il mis, au fond, dans son morceau ? De la rancœur ? De la tristesse ? De la mélancolie ?
Est-ce qu'il fallait obligatoirement jouer des morceaux calmes pour faire pleurer les gens ? Il n'en savait rien. En fait, il ne connaissait rien à la musique, sauf de ce qu'il en écoutait et décelait.

Lentement, une nouvelle mélodie se créa dans sa tête : la mélopée était douce mais détenait un fragile bonheur. Il fallait qu'il l'écrive... Mais en avait-il le temps, maintenant ?
Il repartit vers son sac pour en sortir des partitions vierges. Il y griffonna quelques premières notes et se promit de les jouer plus tard. Lorsqu'il glissa finalement son crayon derrière son oreille, il sourit complice à Héloïse :

- Tu m'as donné de l'inspiration.

Il lui fit un clin d’œil avant de se réinstaller sur le tabouret du piano, face à elle. Difficile de calmer ses ardeurs une fois qu'une mélodie s'installait dans son crâne. Mais il devait d'abord bosser sur l'autre partition !
Alors il leva son visage vers le plafond pour réfléchir à un thème. Mais franchement, ce n'était pas sa tasse de thé... Déjà qu'il ne donnait pas de nom à ses partitions.

- Quel est ton début d'idée ? Demanda-t-il alors.

L'atmosphère s'était faite légère ; Peeta s'était libéré d'un poids et, en plus, avait eu la surprise de voir sous ses yeux une personne qui ne partait pas à la première occasion. Héloïse n'avait pas fui. Ce qui lui faisait penser qu'elle était bien plus forte qu'elle n'en avait l'air. Elle était peut-être son salut, sa bouée de sauvetage dans le monde actuel.
Mais c'était peut-être trop tôt pour penser cela. Ils ne se connaissaient pas depuis très longtemps, bien qu'ils avaient eu des conversations plutôt profondes et lourdes de sens.
En tout cas, la présence de la jeune fille n'inquiétait plus vraiment l'écossais ; il la trouvait agréable, loin de toutes ces filles idiotes et sans cervelle à qui il avait eu affaire jusqu'à présent. Une exception dans le genre féminin.
Ca faisait du bien.

- C'est vrai? J'espère avoir l'honneur d'entendre ce nouvel air bientôt.

Oui, Peeta avait flairé de nouvelles notes pour une nouvelle partition. Ce nouveau sentiment de confiance l'avait perturbé au point de commencer un autre morceau de musique.
Lorsque la jeune fille avoua son envie d'écouter cette nouvelle mélodie bientôt, Peeta sentit ses doigts le démanger. Pourtant, il devait pour le moment se résigner à rester sur la partition qu'ils étudiaient tous les deux afin que Héloïse puisse en sortir des paroles. Pour le moment, c'était mal envisagé de commencer une nouvelle chose.
Il avait assez de choses inachevées dans sa vie pour en rajouter une couche...

Quand Héloïse se mit à côté de lui, Peeta ressentit une petite dose de méfiance ; lui et l'aspect physique des humains près de lui, c'était encore une autre affaire que de le toucher avec des mots et une présence. Pourtant, il devait bien cela à la jeune fille. Quand son épaule effleura le bras de Héloïse, l'écossais retint donc un mouvement de recul, à la seconde près.
Et il put ainsi lire les premiers mots de la jeune fille.

"Les gens passent sans faire attention à la misère du monde.
Et la nuit tombe sur eux, alors que la lumière n'est pas encore tombée,
Souvenirs amères du passé qui nous emprisonne,
de son étreinte glacé."

Peeta réfléchit puis posa son doigt sur le mot "tombée".

- Tu as fait une répétition de ce verbe là. Pourquoi pas plutôt mettre "alors que la lumière n'a pas encore disparu" ?

Bon, c'était une idée comme une autre. A dire vrai, il ne s'y connaissait pas tant que cela en écrit. Bien sûr, il avait composé des chansons. Mais ses mots à lui ne percutaient pas son esprit autant que ceux de la jeune fille.
Et, avec elle, un seul papier avait suffit à lui dévoiler son talent.
Il sourit à Héloïse, légèrement taquin.

- Tu étais tellement perturbée par ma musique ?

C'est là qu'il entendit le ventre de la jeune fille gargouiller.

- Ah, désolée.

Quelle heure était-il au juste ? Dehors, il commençait sérieusement à faire nuit. D'ailleurs, la pénombre envahissait désormais la salle. C'était peut-être aussi pour cela que Peeta se sentait mieux : dans la nuit, on se voyait moins physiquement et le mental prenait donc le dessus.
Enfin bref.
Héloïse fouilla dans son sac à la recherche de victuailles.

- ça ne te dérange pas que l'on fasse une petite pause, histoire de casser un peu la croûte?

Peeta secoua négativement la tête avec un petit sourire.

- Vas-y, ne te gènes pas pour moi. Je t'ai fait venir après les cours, tu n'as pas eu le temps de manger, forcément.

Il se dirigea vers la porte de la salle de musique, la ferma pour éviter que tout bruit se répercute dans le couloir, puis alluma les lumières du plafond. On y voyait mieux. Cela dérangea les yeux de Peeta, qui aimait bien la pénombre, mais c'était bien moins aisé pour Héloïse d'écrire dans le noir.

- Ahh!! J'avais pas vu...

Peeta observa la jeune fille s'ébouriffer les cheveux, souriant légèrement ; avait-elle la même manie que lui à faire de genre de gestes ? Lui même, quand il était contrarié ou nerveux, s'en prenait à son crâne.
Mais bon, ce n'était qu'un détail.

- Tu étais tellement perturbée par ma musique ? Avait-il alors demandé.
- Peut-être bien, avait-elle répondu.

Peeta essayait de garder un minimum de bon sens ; il n'avait pas reparlé de cette promesse à laquelle Héloïse n'avait pas répondu, celle qui spécifiait que personne ne devait s'attacher à lui. Une part de sa conscience lui intimait de garder ses distances et, surtout, de se méfier. Héloïse et lui s'entendaient plutôt bien, et ça pourrait bien finir par les nuire l'un et l'autre.
Ne pas dépasser le stade de simples potes...

Héloïse s'était pratiquement jetée sur l'une de ses pommes pendant que l'écossais était parti fermer la porte et allumer la lumière. Ce court laps de temps permis à Peeta de s'éloigner, physiquement et émotionnellement parlant. Il retint même un grognement en se triturant les cheveux avec ferveur.
Le style cheveux ébouriffés ne lui allait pas si mal, de toute façon. Il se coiffait rarement. Ses tifs ne pouvaient s'empêcher de toujours se batailler entre eux.

- Sert toi n'hésite pas.

Le jeune homme sourit en directement de la jeune fille puis se dirigea vers le piano.

- Non, merci. Je suis assez... difficile sur mes choix de nourriture.

Végétarien, persistant à vouloir connaître aussi les origines de chaque fruit et légume pour être sûr d'éviter OGM et produits toxiques... Ce n'était pas facile du tout, malgré ce que l'on pouvait en penser. En tout cas, il n'insista pas pour expliquer ses paroles et ajouta seulement :

- Je n'ai pas faim.

Il afficha un air contrit. Depuis qu'il avait stoppé la viande, son appétit avait nettement diminué. Ce n'était pas facile à expliquer, et bien des gens fermaient plutôt les yeux sur cette sensation pour se leurrer et continuer à manger les animaux.
Bref.
Il se posa sur le tabouret du piano pendant que Héloïse se débattait pour écrire les mots valables à sa mélodie. Le jeune homme s'étira les doigts, les positionna sur le clavier et, après un coup d’œil vers la jeune fille, relança ce fameux morceau sur lequel elle avait pleuré lors de la première écoute.

A la fin de sa partition, il poussa un léger soupir et ferma les paupières un instant ; pendant un moment, il s'était senti bien en présence de la jeune fille. Maintenant, le doute le reprenait quant à sa maladie irréversible.
Devait-il pourtant regretter cette collaboration ? Non. Il l'avait choisi. Héloïse allait devenir le porte-parole de sa mélodie. Regretter maintenant ne servirait absolument à rien.

Ses doigts se mirent à jouer une nouvelle mélodie. Celle-ci était une reprise, bien entendu. Il la connaissait du bout des ongles. Une chanson de Bryan Adams, Everything I do.
Après les premières notes, il se mit à chanter de sa voix rauque et mélancolique. Son ton était un peu différent de la chanson originale, moins cassé.

Il avait besoin de chanter, de se défouler. Qu'importe s'il était écouté ou non... Cette chanson parlait de ce qu'il s'interdisait à avoir : l'amour. Cela ne le perturbait pas de chanter ce sujet. Les yeux mi-clos, il gérait sa voix en même temps que les notes du piano.
Jusqu'à la dernière note, qu'il laissa en suspens avant de retirer totalement ses doigts du clavier et d'inspirer profondément de l'air.

Les yeux levés vers le plafond, Peeta s'était lui aussi perdu dans les limbes de ses pensées, de son passé. De ce qu'il n'avait rien eu, de ce qu'il n'aura jamais. Il était difficile de se tourner vers l'avenir quand ce dernier n'avait pas de sens. Le jeune écossais avait maintes fois essayer mais, à chaque fois, sa maladie revenait à l'assaut. Peut-être qu'il devait en être ainsi dès sa naissance, après tout.

Il revit son cousin, Davis, avec qui il avait partagé du temps. Puis son père, qui lui était rarement à la maison. Et, bien avant cela, sa mère... allongé morte à côté d'une tonne de médicaments, inerte. Tous, aujourd'hui, avaient disparu. Tous l'avaient abandonné.
Peut-être était-ce la revanche du Destin, lui qui était si distant.

C'était lui qui les avait abandonné...

Peeta poussa un long soupir avant de cligner des yeux et de redescendre sur Terre ; il fixa les touches du piano un moment, encore submergé par la vague émotionnelle qui venait de le heurter. Une douleur diffuse se pointait dans son crâne. Il se massa les tempes avant de reprendre totalement le fil du présent.
Où en était Héloïse ?
Il se tourna vers elle. Le silence ne le dérangeait pas, non. Mais quand une autre personne se trouvait dans la même pièce que lui, cela le mettait un peu mal à l'aise.

Il arqua un sourcil ; la jeune fille s'était assoupie ? Ou peut-être qu'elle se reposait un peu les yeux. Doucement, sans un bruit, Peeta quitta son tabouret et s'avança vers Héloïse pour en avoir le cœur net. Et il dû bien se faire à l'idée qu'elle s'était endormie.
Il s'accroupit à côté d'elle et l'observa, intrigué ; Héloïse n'avait pas disparu, elle. Elle ne l'avait pas abandonné, ne l'avait pas fui. Et il avait encore du mal à s'en rendre compte. Peut-être allait-elle devenir la première personne qu'il laisserait derrière lui quand il mourra...
Il approcha une main du visage de la jeune fille, cligna des yeux. Le bout de son pouce effleura la joue de la Demoiselle et il en profita pour lui retirer une petite mèche de cheveux du visage. Un geste anodin, un peu tendre et compréhensif.

Finalement, il se redressa, jeta un coup d’œil vers la fenêtre pour constater que la nuit avait très bien commencé. Il était tant de quitter cette pièce et d'aller se reposer. Avec lenteur et calme, Peeta posa une main sur l'épaule d'Héloïse et la secoua très peu.
La voix de l'écossais murmura :

- Hey... Il serait tant d'aller dormir.

Lui-même commençait à ressentir de la fatigue.