Comme chaque année, après deux mois de vide, l’académie reprenait vie. C’était avec plaisir que la directrice regardait les élèves affluer dans les murs du vaste domaine. Bientôt elle devrait faire le traditionnel discours de début d’année. Elle n’était pas plus bête qu’un autre, au contraire, elle savait donc parfaitement que les élèves n’en avaient en général rien à faire et qu’ils considéraient ce moment comme une corvée plus qu’autre chose. Mais cela faisait partie de ses devoirs et elle appréciait tout de même ce moment qui lui permettait de voir les nouveaux élèves de son académie. Debout, bien droite dans son traditionnel tailleur, les talons aiguilles de ses escarpins bien plantés dans le sol elle attendait le silence. Quand celui-ci vint enfin elle parcourut l’assemblée du regard et entonna les paroles si bien connues de tous les anciens.

«… Pour finir, je vous souhaite à tous une excellente année à Artistic Academy. »

Elle recula, la gorge sèche après avoir parlé aussi fort. Souriante, elle regarda les élèves se lever bruyamment. Une fois encore cette année semblait pleine de promesse.

Pauline était ... partie ? La tête basse, Naia remontait l'allée qui menait à l'académie. Dans son esprit, tout virevoltait, tout dansait, tout était flou. Elle n'arrivait pas à réaliser l'ampleur de ce qu'elle venait d'apprendre. On lui avait dit que Edward, le petit ami de Pauline était mort. Lui aussi élève à l'académie, il lui avait fait l'honneur de danser avec elle au Bal de Givre il y a presque deux ans maintenant. Ca lui avait fait un sacré choc et elle n'avait pas pu retenir ses larmes. Elle avait tenté de soutenir son amie mais elle n'avait jamais pensé qu'elle quitterait l'académie. Elle était sa meilleure amie, la seule à qui elle faisait vraiment confiance. Elles avaient passé des moments géniaux ensembles et la brune n'arrivait pas à croire que c'était terminé. Elle en avait mal au coeur, aux tripes, elle avait envie de s'enfuir loin de son école en pleurant. Après tout Artistic Académy sans Pauline, ce n'était pas vraiment Artistic Académy.
Pourtant elle avançait, encore et encore, comme si elle était attirée par cette endroit par une force qu'elle ne comprenait pas, qu'elle ne connaissait pas. Elle sentait qu'elle ne devait pas fuir, elle ne pouvait pas fuir. Quelque chose l'en empêchait.

Elle passa les lourdes grilles sans les voir, continua d'avancer machinalement. Elle se dirigea directement au bâtiment baroque, se précipita dans sa chambre et jeta sa valise sur le lit, puis elle partit en claquant la porte. Elle courut le plus vite possible, le plus loin possible de ses élèves heureux qui souriaient avec leurs parents. Elle n'avait pas vu son père de l'été, trop occupé par son travail pour rentrer en France, et sa mère n'était plus qu'une loque depuis sa séparation avec son ex-mari. Le coeur amer, Naia avait passé une pauvre semaine avec elle avant de partir squatter chez des amis les derniers jours qui la séparait de la rentrée. Puis elle était revenue en train. Et depuis la gare elle marchait. Pas de taxi et puis vu la file de voiture elle avait bien fait. En marchant elle croisa une blonde qui fumait sur un banc. Ne s'en formalisant pas elle se dirigea vers le Hall d'Entrée et s'appuya contre la chambranle de la port. Elle entendit les dernières paroles de la directrice puis, voyant la foule d'élève arriver vers elle et fit demi tour et s'éloigna. Elle n'avait pas envie d'être entourée de toute ces personnes joyeuses et insouciantes. Pauline est partie, Pauline est partie ! Ces mots passaient en boucle dans sa tête si bien qu'elle avait envie de les crier. Sans regarder devant elle, elle se rua vers les écuries. Ils étaient là, tous les deux. Stelune son cheval. Isidore le cheval de Pauline. Elle lui avait promis de s'en occuper, il y a deux ans. En pleurant elle rentra dans sa stalle et passe ses bras autour de l'encolure de l'étalon, qui resta étonnamment calme. Alors elle laissa les larmes rouler sur ses joues.

La rentrée. Les élèves arrivant massivement dans le hall de l’académie, les nouvelles têtes, les anciennes têtes, celles qu’on n’avait pas vues depuis longtemps, celles qu’on aurait aimé ne pas revoir… Et parmi tous ces gens, Nathanaël Von Arlex. Un inconnu pour certains, un visage familier pour d’autres, un mec qu’on n’avait pas croisé depuis ce qui semblait une éternité, un gars qu’on aurait parfois aimé ne pas revoir… Il était comme tout le monde. Parfaitement normal, fondu dans la masse des artistes en devenir. Seul pour attaquer ce nouveau chapitre de sa vie. Sa quatrième rentrée à Artistic Academy, mais aussi sa première rentrée en tant que Bachelier. Il lui restait trois ans ici, si tout se passait bien. Et dans trois ans, lui aussi partirait, et serait remplacé par un nouveau Baroque, comme tous les individus dont le destin rencontrait un jour la célèbre école d’art…

Nate se tenait dans un coin, stoïque. Comme chaque année, il passait plus de temps à observer les visages qu’à écouter la directrice. Il salua Ethan d’un signe de tête. Celui-ci était toujours surveillant à mi-temps, depuis qu’il avait achevé son cursus de Beethoven… L’adolescent repéra aussi Gabriel, Amanda, et certains de ses professeurs. Mais aujourd’hui il n’était pas intéressé par les gens qu’il connaissait. En effet, la rentrée était un des rares jours de l’année où tous les élèves étaient présents simultanément dans la même salle, ce qui avait un côté certes oppressant, mais était néanmoins très pratique pour repérer un maximum de nouvelles têtes.
Les nouveaux étaient très facilement repérables. Ils regardaient autour d’eux d’un air nerveux, tapotaient sur leur téléphone toutes les trente secondes, étaient parfois accompagnés de leurs parents pour les plus jeunes. Ceux qui n’étaient pas avec leurs géniteurs étaient généralement seuls, ou bien en train de faire la connaissance d’un ou plusieurs autres élèves, pour les moins timides.
Mais parfois, certains nouveaux se démarquaient des autres. Comme cette fille brune à l’assurance non dissimulée qui semblait mourir d’ennui et qui faisait de l’œil à un type. Nate la suivit du regard lorsqu’elle s’éclipsa. Etrange personnage…

Anna entra dans le hall d'entrée, où étaient rassemblés massivement tous les élèves de l'académie, les anciens comme les nouveaux. La rentrée. Encore et toujours. Comme chaque année un discours. Comme chaque année, le même. Anna regardai les différents élèves, se demandait lesquels étaient nouveau ou pas, s'ennuyait fermement. Les vacances avaient été géniales, mais trop courtes, beaucoup trop courtes pour elle. Son regard se posa sur plusieurs personnes qu'elle avait déjà vue, sur certains visages inconnus, sur des beaux garçons et sur des profs qu'elle n'aimait pas. Mais parmi tous ces visages, elle n'en trouva pas un qui vaille le déplacement. Aujourd'hui elle voulait voir ce que vallait les gens qui arrivaient à l'académie. Elle voulait se rendre compte de qui était nouveau, qui ne l'était pas, et qui, potentiellement, pouvait devenir un ou une bon ami.

Le brouhaha général empêchait la blonde de penser correctement. Elle s'assit dans un coin, cachée de la vue des profs par un pilier du hall, et alluma une cigarette. Elle n'aimait pas fumer. Mais elle le faisait quand même. Cela lui arrivait une ou deux fois tous les six mois. C'était quand elle regrettait quelque chose. Comme ça, le regret était double. Celui du départ plus celui de la clope. Anna commençait à tout connaître de l'académie depuis qu'elle était là, et elle voulait du neuf, sans en trouver, ce qui la chagrinait énormément.

Ne sachant que faire d'autre, elle attendit patiemment que le discours se termine, grillant sa clope dans un coin. Lorsque la directrice eu finit, la jeune fille observa de loin le comportement des différents élèves de l'académie. Elle en vit s'éclipser rapidement, d'autres attendre ne sachant que faire, les habitués retourner dans leurs chambres pour déposer leurs affaires. Quant à la cygne, elle était là, attendant quelque chose qui bouleverserait cette monotone rentrée sans intérêt. Mais rien ne se passait. Les élèves quittèrent peu à peu la salle tandis qu'elle restait là, immobile, dans l'ombre du pilier, à attendre.

Comment se faire chier le premier jour. Une chose. Aller dans le hall d'entrée et être obligé d'écouter le long et monotone discours habituel de la directrice. Bon okay j'avoue c'est la première fois que je l'entends. Mais bon, il reste nul, que des phrases toutes faites qu'elle doit ressortir toutes les années et que les anciens élèves doivent connaître par coeur. Personnellement je suis perdu dans mes pensées. Mes vacances ont été cool certes, mais elles sont finis. J'ai préparé mes premiers exams de violon mais j'ai pas retouché à ma guitare. Ma batterie n'est pas la même que celle de l'académie et le piano me manque. Je n'en ai pas fait depuis deux mois. Résultat, je suis en dèche sur mes instruments. C'est la loose, et qui plus est, la honte intergalactique. Un Beethoven qui connait plus ses partitions parce qu'il a pas joué de toutes les vacances. Je me fais pitié parfois sérieusement.

Bon, au lieu d'écouter la vieille voix de la dirlo, et de désespérer de moi même en pleurant sur mon sort intérieurement, je ferais mieux de regarder qui ici pourrait être potentiellement une mademoiselle sexy. Je furette un peu partout, mes yeux se posent sur plusieurs filles, une blonde, aux cheveux ondulés, assez bien formée, mais elle me paraît un peu jeune. Bon next. Pour aujourd'hui ce ne sera pas elle, attendons qu'elle grandisse un peu. Mon regard se pose sur deux autres filles qui discutent ensemble. L'une est hyper canon mais l'autre hyper moche. Bon je vais pas en aborder qu'une sur les deux et laisser l'autre seule. Tant pis pas pour cette fois non plus. Je commence à désespérer lorsque mon regard se porte sur une fille brune qui passe non loin de moi.

Elle est à deux mètres pas plus. Ouah, elle c'est sûr, je me la fais. Parfaitement proportionnée dans son petit jean, la taille parfaite, fine, élancée, un peu grande peut être mais on s'en fou moi aussi je suis grand. Je la regarde se déhancher un peu en passant juste sous mes yeux. Nos regards se croisent, elle a un sourire malicieux, je me mords la lèvre. Elle est superbe. C'est décidé, c'est elle que je veux. Un instant après je la vois disparaître derrière la porte. Je ne la suis pas. Ce serait trop facile. Je vais attendre qu'elle revienne, parce que je suis sur qu'elle le fera.

La salle se vide peu à peu lorsque la directrice a terminé son discours. Je reste dans la salle, observe un peu ce qu'il se passe. Je vois une blonde filer une clope à une autre fille, et j'attends ma jolie brune à croquer.

Alors que la nouvelle et intrigante jeune fille disparaissait, deux personnes un peu plus familières allèrent à la rencontre de Nate. Amanda Slam et Gabriel Sunrise O'Angels. Ah, ces deux-là s'étaient donc rabiboché... Lorsque Nate avait fait plus ample connaissance avec le froid et mystérieux Gabriel, à Melbourne, ce dernier ne lui avait pas semblé très confiant concernant son couple, bien qu'ils n'aient pas abordé le sujet. Ça n'intéressait pas beaucoup Nate, dans tous les cas.
Amanda adressa un éblouissant sourire au dessinateur. Ils ne se parlaient pas très souvent, mais ne s'entendaient pas si mal. Ils avaient parfois des cours en commun, et Nate ne pouvait nier qu'Amanda était une bonne partenaire de travail. Ils fonctionnaient un peu de la même manière, sur certains points. Ils étaient calmes, observaient beaucoup et parlaient peu. Nate ne savait pas vraiment s'il pouvait la considérer comme une amie, dans la mesure où il n'entretenait pas de liens extrêmement forts avec elle. Ceci dit, elle avait plutôt l'air de bien l'aimer, à en juger par son resplendissant sourire.

- Salut Nathanaël ! Contente de te revoir ! Je te présente Gabriel, malgré l’apparence il ne mord pas.

Non, pas amie. Ses amis ne l'appelaient pas Nathanaël. Alors quoi ? Ça n'avait aucune importance. Nate n'était pas de ces personnes qui mettent des étiquettes sur tout et n'importe quoi. Son regard glissa sur Gabriel, et un sourire pensif étira très légèrement le coin de ses lèvres. Oh, ils se connaissaient. Mais Amanda l'ignorait visiblement.

- Bonjour, répondit-il doucement.

Soudain, Amanda jeta un rapide coup d’œil à son téléphone, et ce qu'elle y vit la motiva visiblement à partir sur-le-champs, abandonnant derrière elle son cher et tendre, qui n'avait pas l'air très heureux d'être là. Ca fait plaisir. Nate eut un léger mouvement de recul lorsqu'Amanda s'approcha pour l'enlacer, mais cela ne suffit malheureusement pas à stopper son geste, puisqu'elle était déjà lancée. Il tressaillit, le visage de marbre. Il l'avait connue moins... Expressive. Elle avait changé, elle était plus extravertie qu'avant. Mais Nate n'aimait pas vraiment être touché à l'improviste par n'importe qui, aussi aurait-il préféré en cet instant qu'Amanda fût toujours la jeune fille timide aux joues roses qu'elle avait été autrefois.
Elle fila rapidement, laissant les deux blonds face à face. La directrice prononça les derniers mots de son discours, alors que Nate suivait Amanda du regard, le temps de remettre ses esprits en ordre. Il se tourna ensuite vers Gabriel. Ils ne s'étaient pas parlé depuis l'aquarium de Melbourne, pourtant, le lien qui s'était tissé entre eux ne s'était pas estompé, se matérialisant sous la forme d'une promesse : ils allaient travailler ensemble.
Un jour. Pas maintenant. C'était trop tôt. Nate inspira profondément, ayant recomposé son expression de parfaite neutralité.

- Je vois que ça va mieux entre vous deux, constata-t-il puisqu'il n'avait rien de mieux à dire.

Elle avait insisté pour qu'ils assistent au discours. Il ne voulait pas mais parfois dans la vie il faut savoir faire des compromis. Et puis, il faut avouer qu'il se sentait fier, à côté de la jeune fille en robe bleu au teint magnifiquement bronzé. Il savait qu'elle voulait lui faire passer le test de l'assurance. Et il voulait lui prouver qu'il parvenait à changer. Sinon, il ne se serait pas trouvé dans la pièce bondée de personne, avec pour seul vêtement un t-shirt et un pantalon en jeans. Et oui, vous avez bien lu un t-shirt. Laissant les cicatrices de ses bras à découvert. Ca lui faisait battre le cœur plus vite, il se sentait en danger et paniquait au moindre regard adverse mais il lui avait promis qu'il accepterait son passé. Qu'il essayerait au moins. Et ce qu'il faisait aujourd'hui en était le premier pas.

Evidemment ça le mets mal à l'aise mais il accepte. Il accepte les regards, il accepte qu'Amanda le promène devant ses amis. C'est normal qu'elle veuille qu'il rencontre son entourage. Elle veut qu'il s'intègre à sa vie. Il la sent nerveuse à côté de lui. Il sait pourquoi. Tous les deux, ils n'ont qu'une seule envie. Posé leur main sur un piano. Ce n'est pas qu'ils n'ont pas eu l'occasion d'en tester à Venise mais celui de l'académie, c'est un peu comme le leur. Ils ont vécu de belle chose avec ce piano. Et Gabriel sait à quel point ça compte pour Amanda. Elle n'a pas arrêter de lui en parler dans le vol de retour pour la Bretagne. Presque un peu trop à son goût. Lorsqu'elle le traîne à travers la foule, il se laisse faire. Sauf que lorsqu'elle se dirige vers un garçon blond il a comme un mauvais pressentiment. Les yeux verts de Nathanaël se tourne vers lui. Dans le mille. Il aurait voulu éviter de le revoir si tôt. Trop tôt.

Il regarde Amanda d'un air suppliant mais elle ne lui adresse pas un regard avant d'avoir atteint le Baroque. Gabriel sait qu'elle le fait exprès. C'est son moyen à elle d'obliger le blond à se socialiser un peu. Contre son gré certes mais bon, aucune raison de ne pas user de pratiques douteuses. C'est ainsi que le garçon au regard noir se retrouve confronté à son camarade :

-Salut Nathanaël ! Contente de te revoir ! Je te présente Gabriel, malgré l’apparence il ne mord pas.

L'irlandais eut un sourire crispé. Elle n'avait pas idée de l'échange qu'avait eut les deux garçons à Melbourne. Il balaya les alentours d'un air nerveux et eut un soupire qui était sensé l'aider à évacuer son angoisse. Il avait bien dit « sensé ». Amanda regarde son GSM du coin de l'oeil et relâcha instantanément sa prise sur ma main :

-Oups, je dois partir d’urgence, hâte de te revoir !

Elle étreint Nathanaël qui semble aussi peu ravi que le garçon de se trouver ici et s'éclipse. Et quoi ? Elle abandonne le blond à son camarade aussi impitoyable qu'un piranha qui aurait attrapé un morceaux de viande appétissant ? Et bien oui. Il la regarde s'éloigner, un peu impuissant, se sentant absolument seul. Ou plutôt en compagnie de quelq'un qu'il ne voulait pas spécialement voir. Aujourd'hui, le Beethoven a quelque peut l'impression de subir les évènements. "On se retrouve juste après", tu parles. La connaissant, elle n'est pas prête de revenir. Surtout si elle va discuter avec une amie. Mais bon, c'est normal pour une fille non ?

Gabriel tourne son attention vers Nathanaël. Il a l'air encore plus détaché que d'habitude. Comme s'il regardait le monde mais n'en prenait pas toute la profondeur. Comme s'il regardait les autres comme on regarde un film qui ne nous concerne pas. Le blond sait que c'est en lien avec un certain Antarès mais il n'a pas tout les détails. Il n'est pas sur d'avoir bien tout saisi. Il regarde une dernière fois dans la direction que prend Amanda, comme s'il espérait qu'elle se retourne et l'invite à la suivre ce qu'elle ne fit bien évidemment pas.

- Je vois que ça va mieux entre vous deux.  

Beaucoup mieux même. Après de nombreuses disputes, d'interminable discussion et une rupture de plus d'un mois ils avaient finalement remarqué qu'ils avaient tout deux construit quelque chose de spécial. Un amour bâtit de manière totalement désordonnée qui était apparu bien plus solide qu'il ne le semblait. Le garçon hoche donc la tête, pour marquer son approbation, ses yeux noirs parcourant la salle à toute vitesse. Il les repose sur son interlocuteur et finalement il ne peut s'empêcher de lui faire remarquer ce qui le gène depuis tout à l'heure :

- Je sais pas ce qui te mets dans cet état mais tu devrais trouver quelque chose ou quelqu'un pour te maintenir dans le monde réel parce que sinon on va te perdre pour de bon et ça serait dommage.

Gabriel ne sait pas de quoi le Baroque veut se protéger de ce qui l'entoure en s'enfermant mais il sait que c'est une erreur que lui même à commise auparavant. De manière différente mais malgré tout, se détacher de ce qui blesse, quoi que ce soit n'est pas une solution. Il ne faut pas fermer les yeux, il ne faut pas ignorer ce qui nous fait mal au coeur, il faut apprendre à vivre avec ou alors le vaincre. Le Beethoven se mord l'intérieur de la joue. De quoi il se mèle au juste ? Il s'en fout, Nathanaël fait ce qu'il veut après tout.

Tu lèves les yeux sur la salle à la fin du discours, le regard haut perché sur ton long cou. Ta tête dépasse très largement d’une très grande partie de la foule, sans avoir besoin de te mettre sur la pointe des pieds. Tu sens quelques unes de tes nombreuses bagues s’encastrer dans tes doigts lorsque ta main droite se met à tenir plus fermement la poignée de ta valise, que tu n’as toujours pas pu aller déposer dans ta chambre, tout simplement parce que tu n’avais pas la moindre idée de quel bâtiment est lequel, ce qui est toujours le cas puisque même si la directrice a très certainement dû l’expliquer à un moment, tu as eu énormément de mal à rester concentrée sur ce qu’elle racontait. Tu as commencé à visualiser un chemin à travers la masse informe d’élèves qui s’entassaient dans la salle, mais finalement tu te dis que non, tu vas plutôt observer quels genre de personnes tu trouveras certainement dans ta classe.
 
Naturellement, tu ne connais pas grand monde, autrement dit le nombre incroyable de zéro personnes, et les autres ne te connaissent pas non plus, mais s’ils ne font pas attention à ton apparence atypique et qu’ils te survolent seulement du regard, alors ils pourront penser que tu cherches tes amis, ce qui est une bonne chose car tu as envie de passer inaperçue pour l’instant.
 
Tu te sens un peu bizarre depuis que tu es arrivée ici. Tu n’as pas vraiment l’habitude d’entendre seulement du français autour de toi, et toute cette cacophonie de sons n’est pas tellement étrangère à tes oreilles car tu t’y étais préparée en regardant des programmes dans cette langue, mais il y a toujours une petite différence entre écouter du français parce que tu en as envie à ce moment précis et entendre du français à n’importe quel moment de la journée sans pouvoir y faire grand-chose. Tu avais déjà eu ce sentiment en arrivant à la gare à Paris et en visitant la capitale en attendant ton prochain train. Ton français n’est malheureusement pas parfait et tu espères ne pas avoir trop de mal à parler dans les premières semaines de ton séjour, mais tu sais de toutes façons que ça ira mieux d’ici quelques mois, ou du moins tu le supposes et ça serait quand même une aubaine puisque tu as un examen à passer à la fin de cette année et d’après ce qu’on t’a raconté, le baccalauréat ce n’est pas exactement de la rigolade.
 
Tes yeux sont donc levés sur la salle, et tu vois des têtes blondes, des bruns, des gens avec des cheveux bleus, des jeunes et des moins jeunes, quelques couples et des groupes d’amis, tout un tas de personnes au physique un peu hors du commun, et tu remarques surtout que tout le monde vaque à ses occupations comme si le discours n’avait jamais eu lieu. Une douce senteur de cigarette te monte un peu dans le nez, tu ne t’y attendais pas réellement vu que tu es à l’intérieur. Tu as toujours été relativement indifférente face à cette odeur ; tu la sens de partout, dans la rue ou dans certains restaurants et au final dans n’importe quel lieu un peu fréquenté, on peut donc dire qu’au final ça ne t’étonne pas vraiment de sentir ça ici.Tu aurais aimé que les gens qui feraient partie de ta classe, ou au moins de ta section, portent un signe distinctif histoire de pouvoir te faire une petite idée, mais ce n'est pas le cas et tu te fais à l'idée que tu verras bien lorsque vous serez tous en classe pour les premiers cours de l'année.

Je savais qu'elle reviendrait. Ne l'avais je pas prédit ? Je la vois repasser la porte en mon sens. Elle se dirige vers moi, avec cette démarche féline d'un prédateur face à sa proie. Mais je n'aime pas être la proie, je ne la suis jamais, sauf quand je le décide. Elle s'approche avec un sourire. Je regarde ma belle inconnue, les mains dans les poches de mon sweat. Ferais je le désintéressé ? Impossible. Elle a déjà vu mon regard la parcourir tout à l'heure, comme je l'ai vu sourire lorsqu'elle a posé le sien sur moi. J'esquisse un demi sourire. Okay, cette fille sait qu'elle est canon et qui plus est, elle semble savoir profiter de ses atouts. La belle inconnue s'approche de moi et ouvre la bouche pour parler. J'écoute la voix claire qui me parle, mais mes pensées appellent ses lèvres.

"-Alors mon mignon je t’ai manqué ?"

Alors comme ça elle me donne du mon mignon ? Et bien j'aime pas trop beaucoup ça. Nan je déconne, j'adore. Ca fait un peu sensuel mais en même temps drague connue de tous. Cette idée me fait sourire. Et "manqué" est bien le mot que j'aurais employé. En quelques instants, j'avais été en manque de son visage, en manque de ses cheveux bruns, en manque de voir ses hanches se mouvoir au rythme de sa marche, en manque de ses jolies lèvres, en manque de tout, sans la connaître. Je plante mon regard déroutant dans le sien et lance avec de la malice dans la voix

"-Beaucoup"

Dis je avec un sourire. Je passais une main dans mes cheveux. J'aimais bien faire ça, je sais pas pourquoi. Une sorte de tique vous me direz. Je le faisais souvent quand j'étais plus petit et quand j'étais amoureux, maintenant je le fais tout le temps. Allez savoir ce qui me passe par la tête. Les gens aiment mes cheveux bruns, moi aussi. Nan je dec. Je préfère les siens. Je plante mon regard déroutant dans le sie

Nate, qui avait tendance à se focaliser sur les visages et surtout les yeux plutôt que sur l'ensemble des individus qu'il rencontrait, mit plusieurs instants à noter que Gabriel portait un T-shirt. Surprise. Alors il avait deviné juste au sujet des cicatrices. Une pointe de déception parcourut brièvement le Baroque, qui regrettait que ce secret soit ainsi dévoilé aux yeux de tous alors que lui avait dû faire un certain effort de déduction pour le trouver. Il avait mérité de voir les fameuses cicatrices, en quelque sorte.

Mais Nathanaël fut tiré de ses songes par une déclaration aussi incompréhensible qu'inattendue. Quel état ? Comment ça, se maintenir dans le monde réel ? Le perdre ? Nate ne comprenait pas. Il le fit savoir à Gabriel en fronçant les sourcils durant un instant, avant de se fermer à nouveau. Il ne savait pas ce que le Beethoven avait vu en lui ou croyait avoir vu, mais ça ne lui plaisait pas. Ça voulait dire qu'il y avait une faille dans sa neutralité et ce n'était pas normal. Il était impénétrable. Personne n'avait le droit de regarder en lui comme lui le faisait avec ceux qui n'étaient pas fichus de protéger correctement leurs secrets.
Gabriel avait changé. Le T-shirt, et maintenant cette déclaration... Amanda y était pour quelque chose, cela allait sans dire. Elle l'avait transformé, peut-être comme Antarès avait transformé Nate. Mais ce n'était qu'une illusion, après tout. On ne peut pas changer sa nature profonde.

- Je ne vois pas de quoi tu parles, Gabriel Sunrise O'Angels, répondit-il sans se départir de son stoïcisme. Et je pense que toi non plus, tu ne sais pas de quoi tu parles.

Il avait les deux pieds bien ancrés dans le monde réel, bon gré mal gré, certes, mais il y était. Il se débrouillait très bien seul, il n'avait besoin que de son esprit infaillible – enfin pas tant que ça apparemment, mais il y comptait y remédier – et des mystères des autres qui ne demandaient qu'à être découverts. Rien de plus. Il allait bien.
Nate jeta un coup d’œil à la salle. Autour d'eux, les élèves quittaient peu à peu le hall pour se rendre dans les dortoirs ou pour vaquer à leurs occupations diverses durant la pause précédant la suite du blabla administratif, cette fois-ci en salle et avec leur professeur principal. Nate avait lui aussi des choses à faire, il fallait qu'il aille chercher ses affaires de cours dans sa chambre, et qu'il arrive à s'approcher du panneau d'affichage assailli d'élèves, pour savoir qui était son professeur principal. Il frôla machinalement la poche  gauche de son jeans pour y sentir la présence de son crayon fétiche, puis reporta son attention sur le musicien aux yeux noirs qui lui faisait face.

- Tu as changé de politique de confidentialité, à ce que je vois, fit-il avec un sourire en jetant un coup d’œil aux bras de Gabriel. J'espère qu'il te reste quand même quelques secrets.

Gabriel dévisagea le Baroque avec calme. Il devait resté serein malgré qu'il ait l'impression de sentir glisser quelque secondes le regard de certains sur les cicatrices boursouflée qui parcourait ses bras nus. Nathanaël n'avait bien sur pas compris de quoi voulait parler le jeune homme mais ça semblait si visible que le dessinateur ne devait même pas se rendre compte qu'il était encore plus étrangement fermé qu'avant. Après, le musicien n'avait pas eu souvent l'occasion de lui parler et tout ceci n'était peut être qu'une illusion. Entendre le blond prononcer son nom complet lui tire un léger sourire. Ca lui refaisait penser à sa petite confrontation. L'Irlandais est pratiquement certaine que Von Arlex est déçu que la seule chose qu'il ait vraiment découvert le loin des aquarium de poissons aux noms plus délirants les uns que les autres soit découverte au grand jour. Il était plutôt du genre curieux mais pas fort partageur en ce qui concernait les secrets, ce qui au fond avait quelque chose de rassurant. Mais malgré tout, c'était le genre de gars fouineur que Gabriel a du mal à apprécier.

Gabriel ne cessait de déplacer ses bras dans toutes les positions inimaginables depuis tout à l'heure tentant vainement de parvenir à se sentir à l'aise. Il ne parvenait pas à se faire à l'idée qu'un bout de tissus ne protégeait plus ce qu'il avait toujours vu comme une blessure jamais cicatrisé. Ce qu'Amanda lui avait demandé était dur. Extrêmement dur. Mais plus ils restaient ensemble, plus le garçon commençait à comprendre toutes ses erreurs qu'il avait toujours commises en croyant bien faire. Elle lui avait ouvert les yeux au risque de le perdre. Elle avait eu raison. Gabriel regarda le Baroque de ses yeux froid et sombre, ce dernier semblait perdu dans ses pensées ou plus exactement dans un instant de réflexion peut être un peu plus paresseuse. Comme si son cerveau mettait plus de temps à trier les informations. Cette espèce de faillie qui avait directement attirer l'attention du Beethoven l'intriguait. Il y voyait là une occasion de forcer les défenses du dessinateur. Mais pas tout de suite non. Tant pis si par la suite, il risquait d'être trop tard.

- Tu as changé de politique de confidentialité, à ce que je vois. J'espère qu'il te reste quand même quelques secrets.

Ce n'était même pas une question. Il était bien sur évident autant pour l'un que pour l'autre que Gabriel croulait sous les secrets. A tel point qu'il en avait été submergé avant sa rencontre avec Amanda. Oui, c'est vrai, il n'arrêtait pas de penser à elle d'une manière ou d'une autre mais cela n'avait rien d'un crime. Cependant, il devait avouer que l'image du baiser avec la Fille ne l'avait pas encore totalement quitté. Il sonda un instant la foule à sa recherche mais ne l'aperçut pas. Tant mieux, il préférait se limiter à une seule mauvaise rencontre par jour. Le Beethoven répond, levant les yeux au ciel avant de prendre un air plus sérieux :

– A ton avis ? Mais entre nous, je vois pas pourquoi je t'en montrerais plus qu'aux autres.

Gabriel décide de se la jouer Amanda et sort son gsm, le sourcil levé. Il ouvre la seule conversation de son gsm, ainsi que le seul numéro qu'il n'ait et contemple le dernier message qu'elle lui a envoyer : « Rdz vous 2main dvt l'académie ». Il range son gsm dans la poche et tourne son regard vers Natahanaël :

- Bon et bien salut.

Ca lui fait une bonne excuse pour partir nan ? Oui, il n'avait peut être pas besoin de faire tout ça mais il n'avait pas envie que le dessinateur ne remarque qu'il s'enfuyait un peu, mit mal à l'aise par le regard des autres élèves, n'ayant qu'une envie, rejoindre sa chambre. Etant moins démonstratif que sa petite amie, il se contente de lui tendre la main pour la serré, comme une manière de lui montrer que leur accord tenait toujours. D'ici peu, le Baroque tenterait une nouvelle fois de s'infiltrer dans les pensées sombres du Beethoven.

LA RENTREE
LE HALL D'ENTREE

« Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne. »

31/08/2013

« Je t’ai trouvé une place dans l’école très réputé dont on avait parlé. Fais tes bagages, tu pars dans une heure. »

Sur ces mots, Mme Manel se détourne et quitte la chambre de sa fille unique. Le désordre qui y règne est incomparable. Tandis qu’à peine quelques jours plus tôt on se serait cru dans une pièce tout droit sortie du château de Versailles, aujourd’hui, un ouragan semble avoir dévasté la pièce. L’immense miroir style Louis XVI est brisé, des morceaux de verre jonchent au sol. Le lit à baldaquin bordeaux, trop lourd pour avoir été renversé est tailladé. Les draps sont déchirés et le matelas est troué à plusieurs endroits. Les autres meubles de la pièce : la bibliothèque, le secrétaire et les multiples étagères ont été vidés de leur contenu qui traine aujourd’hui au sol, brisé ou déchirés. Les rideaux sont lacérés et fermés, coupant la lumière et plongeant la grande pièce dans la pénombre. Au centre de ce chaos, une adolescente se tient prostrée au sol, serrant une photo très abimée contre soi. Les cheveux d’Arizona sont emmêlés et de longs sillons noirs assombrissent ses joues. Dans ses mains, elle serre Sa photo tant qu’elle le peut. Ses larmes n’ont pas cessé de couler depuis qu’Il est parti. Elle voudrait crier de douleur, de désespoir et de rage. Mais elle n’en a plus la force.



31/08/2014

«… Pour finir, je vous souhaite à tous une excellente année à Artistic Academy. »

Un an. Cela fait un an que qu’elle a débarqué dans cette école. Et rien ici n’a réellement changé. A part peut-être quelques nouvelles têtes. Pour elle, c’est la même chose, sa blessure intérieure n’est pas encore prête à cicatriser et elle se demande si elle le pourra un jour. Autour d’elle, des groupes d’amis se retrouvent, après avoir passé deux mois dans leur famille, loin les uns des autres, ils sont heureux de discuter de leurs vacances. Arizona n’a envie de ne parler à personne. Oui, je crois qu’on peut la qualifier d’antisociale, depuis un peu plus d’un an maintenant. Mais elle s’en moque. Elle se contente de les observer.