Ethan était de mauvaise humeur. Il venait d’écoper de trois heures de retenues pour avoir séché une fois de plus – de trop - son cours de mathématiques. Alors que tout semblait pourtant bien se dérouler, il s’était fait attraper à flâner prêt du lac aux Cygnes à l’heure où il était censé apprendre quelques programmes de calculs. Il n’avait même pas essayé de s’enfuir, il n’était pas assez lâche pour cela. Le surveillant qui l’avait pincé avait affiché un air blasé. Le jeune homme et lui commençaient à avoir l’habitude de se croiser, cela arrivait… souvent. Ils étaient tous deux retournés à l’Académie, faisant un petit détour par le bureau du directeur. Enfin, ils avaient libéré le pianiste qui se dirigeait à présent vers le stade, l’esprit en ébullition. Il jurait intérieurement. Mais rien de tel que le sport pour se changer les idées quelques instants. Ethan aimait l’effort physique et profitait de chaque rayon de soleil pour entretenir sa musculature. Lorsqu’il arriva au stade, l’adolescent revêtit une tenue plus appropriée en se changeant dans les vestiaires puis entra sur la piste. Au milieu du stade, un gazon impeccablement tondu permettait aux amateurs de football d’exercer leur passion tandis que de petites tribunes encerclaient le tout. Ethan s’élança sur la terre battue et accéléra au fur et à mesure. Ses muscles répondaient à la moindre de ses sollicitations. La sensation de vitesse l’enivrait, et il aimait sentir le vent fouetter son visage et agiter ses cheveux.
Soudain, le brun s’aperçu – trop tard – qu’un coureur arrivait dans l’autre sens. Il observait ses chaussures et ne sembla pas avoir vu l’élève Beethoven. D’une manière assez improbable, sans qu’aucun des deux ne puisse éviter l’autre, ils se percutèrent violement et tombèrent à la renverse, soulevant un nuage de terre rouge lorsque leur deux corps atteignirent le sol. D’un geste rageur, le brun essuya son visage et se redressa aussitôt, fulminant. L’autre sourit pourtant et déclara :


L’inconnu en question était blond aux yeux verts où pétillait une lueur de malice. Il était plutôt grand - plus grand qu’Ethan, mais il avait du mal à l’admettre – mais plus jeune que le pianiste. Il était d’une ressemblance plutôt frappante avec Nate, en fait. Son sourire s’agrandit tandis que le brun passait sa main dans ses cheveux et clignait des yeux. La colère qui était montée en lui redescendit un peu, tant ce jeune homme semblait… chaleureux ?


Il observa le blond de haut en bas, remarquant une légère raideur dans sa jambe. Il ne s’y attarda pas plus que ça et demanda :


Puis, il l’invita à courir dans le même sens que lui, pour qu’ils puissent continuer à discuter tout en s’entrainant.

Malgré sa volonté de paraître plus en forme qu’il ne l’était, Ethan remarqua bien un léger essoufflement dans sa voix lorsqu’il lui déclara qu’il s’appelait Zac. Il le détailla un instant, comme si un souvenir lui revenait en mémoire. Il demanda, fronçant un peu les sourcils comme s’il réfléchissait :


Un sourire étira les lèvres du brun. En effet, le visage fin et aux traits encore enfantins du jeune homme lui rappelait quelque chose… Et comme Zac semblait tout aussi rebelle que le pianiste, l’adolescent ne doutait pas l’avoir croisé en salle de permanence, lors de l’une de ses – nombreuses – heures de colles. Une mèche blonde vint se coller au front trempé du garçon qui semblait commencer à fatiguer. Zac la chassa d’un geste machinal tandis que le brun répondait :


Ethan avait une meilleure condition physique, c’était indéniable, et Zac semblait lutter. Mais le brun ne ralentit pas l’allure pour autant, voulant tester les capacités du garçon. Il sourit une fois de plus, comme s’il s’agissait d’une habitude. Ce garçon semblait sourire tellement de fois dans sa journée qu’il ne devait même plus s’en rendre compte. Côte à côte, ils finirent le premier tour de piste, et la sueur commença à venir tremper le t-shirt du garçon qui collait à son torse. Tandis que le silence commençait à s’installer entre eux, Ethan en profita pour observer le blond, histoire de se faire une petite idée de son caractère et de quelle maison il appartenait. Il semblait casse-cou et rebelle, un peu comme le brun. Il était grand aussi, et rien dans son physique ne semblait pas le destiner à la dance. Quoi que, les garçons de la maison des Cygnes étaient rares, et peut-être faisait-il du théâtre, ou de la poésie. Ethan effaça ces deux possibilités de son esprit : il n’y a pas si longtemps, sa classe et lui-même avait assisté à une représentation théâtrale, et Zac n’était pas apparu sur scène. Le pianiste ne le connaissant pas plus que ça, il était improbable qu’il soit un Beethoven. Et ses mains ne ressemblaient pas à celles des Baroques. Bref, le jeune homme en déduit qu’il était danseur. Il déclara :


Ce n’était pas une question, plutôt… une affiramtion.

Zac répondit, une lueur malicieuse dansant dans ses prunelles alors que ses yeux se plissait sous le trait d’humour :


Ethan ne répliqua pas, il savait que Zac avait compris. Aucune remarque acerbe ne lui venait de toute façon, et même s’il n’était franchement pas d’humeur à la rigolade, se prendre la tête une fois de plus lui serait probablement fatal. Bref, il préférait ne pas s’attirer d’ennuis pour le moment, sauf s’il était vraiment poussé à bout. Or ce n’était pas le cas. Il sentit les yeux du blond se poser sur lui pour le détailler à son tour, comme pour deviner la maison du jeune pianiste. Un peu hésitant, il demanda :


Ethan se rendit compte qu’il commençait à semer Zac qui avait accéléré l’allure pour le rejoindre. Le souffle court, il tentait de ne pas se laisser distancer. Une question d’honneur, sans doute, et le brun le comprenait. Un léger rictus vint tordre le coin de ses lèvres quand le jeune danseur ralentit l’allure. Il l’imita pour rester à sa hauteur, et répliqua en souriant, les sourcils arqués :

Ethan soupira, excédé. Soit Zac était vraiment stupide, soit il le faisait exprès. Et, dans les deux cas, le brun n’avait pas envie de lui répondre, de s’expliquer. Le blond commença à accélérer, comme libéré d’un poids. Le pianiste l’imita pour rester à sa hauteur tandis qu’il essuyait la sueur qui coulait sur son front de la manche de son t-shirt. Ils finissaient leur troisième tour de piste, et la terre battue s’envolait autour d’eux à chacune de leur foulée. Ethan, songeant tout de même avoir la politesse de répondre à la question du garçon, répliqua :


La respiration du brun était régulière. Il observa le jeune danseur, qui semblait réellement lutter. Il n’avait pas les même capacités physiques qu’Ethan, et celui-ci se demanda pour faisait-il du sport s’il n’en avait pas l’habitude. Le brun haussa les épaules imperceptiblement. En réalité, la réponse à cette question l’intéressait peu, Zac faisait comme il voulait. Une légère brise vint rafraîchir les deux coureurs, dévoilant discrètement la cicatrice que portait le brun à la base du cou. Le pianiste s’humecta les lèvres et inspira un grand coup. Décidemment, courir lui faisait vraiment du bien.

Les muscles d’Ethan se tendirent imperceptiblement. Evidemment, la plupart des gens étaient curieux, et cette cicatrice était… peu commune. Le brun évitait rarement ce genre de confrontation, et dans sa volonté de ne pas révéler la vérité, se devait sans cesse de continuer à débiter le même mensonge. C’était un sujet beaucoup trop sensible pour qu’il en parle à qui que ce soit. D’ailleurs, il n’avait encore jamais révélé la vérité à qui que ce soit. Même les adultes de l’Académie, s’intéressant sur son passé lors de son inscription – il y a quatre ans de cela -, n’avait jamais pu lui tirer la moindre information. C’était comme ça, et Ethan ne se confirait qu’en ceux en qui il a réellement confiance. Hors, il ne fait confiance à personne. En tant que bon manipulateur, il ne s’attache pas aux gens et leur en révèle le moins possible sur sa personnalité et sur sa vie. C’était sa nature, et rien ne pourrait y changer. «Chasse le naturel, il revient au galop » comme on dit. Ethan était méfiant et ne laissait rien au hasard. Hors de question qu’on se serve de ses secrets pour le faire chanter.

Il restait un peu moins d’une moitié de tour de piste. Le brun ne comptait même plus le nombre de tour qu’il avait couru, à discuter avec Zac. Il prit une légère inspiration, humecta ses lèvres sèches et répondit d’un ton égale, pour ne pas trahir sa version des faits :

- C’était un accident, rien de grave. Ça a juste mal cicatrisé.

Sa gorge commençait à le brûler. Il décida de s’arrêter à la fin de ce tour-ci. Peut-être irait-il faire un tour à la piscine après…

Un silence léger était retombé entre les deux jeunes gens, qui continuaient de courir. Ethan ne savait pas si le blond l’avait cru, ou s’il avait compris et avait préféré ne rien ajouter. Dans les deux cas, le pianiste était content qu’il n’ait pas prolongé son interrogation. Enfin, la fin du tour se rapprocha et ils le terminèrent. A bout de souffle, Zac, demanda au brun :

- On s’arrête là ?

Ethan hocha la tête et s’arrêta de courir. Il marchait tranquillement pour quitter la piste, tandis que le blond, qui semblait vraiment souffrir de cet effort physique, tentait de retrouver une respiration régulière. Il récupéra d’ailleurs une bouteille d’eau et bu à longues gorgées, son visage légèrement rougit par l’effort. Il sourit et demanda :

- Tu viens souvent ici ?

Ethan haussa les épaules. Il venait assez souvent, en effet. Il avait souvent du temps à perdre et le sport lui permettait de garder sa forme physique. Par contre, la course n’était pas son sport favori. Il faisait également de la natation, du football et tous les autres sports collectifs que l’on pouvait exercer à Artistic Academy. Il répondit :

- Assez ouais. Mais je cours pas tout le temps.

Zac esquissa un léger sourire, comme si quelque chose d’amusant venait de lui traverser l’esprit. Il s’arrêta devant un muret de pierres et commença à s’étirer. Ethan l’imita, prenant le soin d’étirer ses jambes, ses bras… Après tout, leur effort physique avait quand même été relativement conséquent. Le blond demanda :

- Tu joues quoi comme instrument ?

Nouveau sourire. Décidemment, ce type était abonné ! Il semblait si optimiste, si heureux… Ne lui était-il donc jamais rien arrivé de grave pour qu’il arbore toujours cette expression joyeuse ? Ethan remarqua pourtant, pour la seconde fois, un léger boitillement à la jambe du garçon. Comment avait-il bien put se faire ça ?

Ethan humecta ses lèvres asséchées par la course qu’il venait de faire et réfléchis une poignée de secondes avant de répondre à la question de Zac. Le piano. Le brun se rappelait parfaitement de la première fois qu’il avait posé ses doigts sur un clavier. Il était jeune, et c’était un jour d’hiver. Et il n’avait jamais raconté cela à personne. Ce jour-là, il avait l’impression qu’une part de lui-même s’ouvrait et se dévoilait. Jouer, cela lui permettait de s’évader, et de lui vider l’esprit. Il mettait des sentiments dans sa musique, et c’est cela qui la rendait aussi belle. Jouer le dévoilait sous toutes ses facettes.

- Du piano. Et toi, tu danses sur quel type de musique ?

Ethan hocha la tête. Il n’y connaissait strictement rien à la danse en vérité, et ne savait absolument pas en quoi consistait le « break dance », comme il dit. Il s’en moquait, la question qu’il lui avait posée sur la danse n’était qu’une sorte de diversion pour changer de sujet. C’était comme ça, le brun n’aimait pas parler de lui, et rien n'y changerait. Il y avait des sujets, comme ça...

- Qu'est ce qui t'as poussé à faire du piano ?? Comment tu as su que c'était ce qui te plaisait ?

Raté pour le changement de sujet. La plupart des questions aux abords innocents obligeaient forcément le pianiste à mentir, ou à rester très vague dans ses réponses. Car tout ce qui avait un rapport avec son don pour le piano s’approchait de prêt ou de loin à sa vie à lui, et donc à son passé, et donc à… ce qu’il ne voulait pas révéler aux autres. Pourquoi les gens s’intéressent-t-ils au passé des autres ? Ce qui compte, c’est le présent, ou le futur. Ce qui s’est passé avant doit être oublié. En tout cas, c’est le cas d’Ethan. Encore un sourire planait sur les lèvres du danseur. Le brun pris, une fois de plus, le temps de réfléchir à la question avant de déclarer :

Zac semblait vraiment intéressé par la vie d’Ethan, et, au plus grand plaisir du brun, avait aussi compris sa réticence face à ses questions et n’insistait pas, ou n’émettait pas d’hypothèses pour « l’aider » ou découvrir ce qu’il cachait. Peu importait du pourquoi du comment il en était arrivé à cette conclusion, le principal était qu’il se satisfasse des réponses très vagues du pianiste. Ethan avait l’impression que Zac était la seule personne qui l’avait, pour ainsi dire, compris. Les autres voulaient savoir, pas le blond. Ou du moins, il ne cherchait plus à savoir. Il devait forcément avoir vécu quelque chose dans le même genre que le garçon brun pour réagir comme ça. Peut-être était-ce en rapport avec sa jambe qui semblait porter les marques d’un passé compliqué…

- Et tu composes des morceaux toi-même ??

Tout de suite, c’était un sujet moins sensible. Enfin, une question qui nécessitait une réponse franche et honnête, pour une fois. Ethan n’aimait pas parler de lui, mais ça ne le l’empêchait pas d’avoir des conversations normales avec les autres et d’être malgré tout relativement social. Il répondit :

- En fait, ça dépend. La plupart du temps je joue des morceaux qui existe déjà, mais il m’arrive de composer, oui, mais c'est assez long.

Un léger sourire étira ses lèvres tandis qu’il demandait à son tour :

- Je suppose que toi, tu créé tes propres chorégraphies, je me trompe ?

Puis, le brun invita Zac à quitter le stade, préférant rentrer à l’Académie. Ils pourraient toujours discuter au retour, mais cette séance de « sport » l’avait quelque peu épuisé…