Quelques bouts de papier, un stylo, un chat et beaucoup d'imagination. Ajoutez-y une vie difficile et une âme d'artiste. A la fin, vous obtiendrez une jeune fille, certes un peu renfermée, mais juste assez éveillée pour vous donner un semblant d'amabilité. Son nom ? Vous le retiendrez facilement. Aëliane Marshall.
Le clapotis de l'eau se faisait entendre à plusieurs mètres. Aucun autre son n'arrivait à cacher ce bruit incessant. Une jeune femme passait à côté, paniquée et tendue. Elle pleurait, les cheveux en bataille et un simple jogging-débardeur en habit. Elle tenait dans une de ses mains un petit appareil communément appelé « téléphone portable ». Un immense « 15 » était affiché à l'écran, mais la demoiselle n'avait toujours pas appuyé sur le bouton vert permettant d'appeler les secours. Les larmes s'intensifièrent, comme si toute l'eau disponible sur la Terre pouvait s'épuiser. Elle regarda avec horreur l'
eau qui coulait sur le tapis. Teintée de rouge, elle avait presque recoloré le tissu doré. Son regard troublé se posa sur le minuscule corps qui reposait avec sérénité sur le divan. Le lampadaire ne semblait éclairer que ça, comme s'il reprochait son acte à la jeune femme. Avant qu'elle n'appuie sur le bouton vert du téléphone, des bruits de pas se firent entendre derrière.
« Tu.. Tu l'as tué ! »
La femme sursauta, surprise d'entendre la voix si dure de sa petite fille. Elle se retourna, fixant la petite fille habillée d'un chemise de nuit verte. Du haut de ses dix années, elle était assez grande et plutôt fine. Elle ne tenait pas vraiment de sa mère qui était petite et assez potelée. Un long silence s'installa entre la mère et la fille. Cette dernière regardait avec dégoût sa mère et le petit corps abîmé.
« Je ne l'ai pas fait exprès. »
La fillette jeta un regard noir à sa
génitrice. Comment pouvait-on tuer un enfant d'à peine deux ans sans le faire exprès ? L'enfant connaissait les excès de brutalité de sa mère. Elle savait très bien que son interlocutrice avait battu son enfant à mort sans aucun remord et sans aucune culpabilité. Comme elle le faisait avec
elle. La femme jeta donc son téléphone, un sourire satisfait aux lèvres. Si elle cassait un bras ou deux à sa fille, jamais la petite ne répéterait l'histoire et les parents seraient tranquilles, pouvant recommencer à abuser autant qu'ils le souhaitaient de leur fille.
Une fille était tellement plus excitant.. Mais avant qu'elle ne s'approche suffisamment de sa chaire, la porte s'ouvrit, faisant frissonner la femme qui oublia de « casser un bras » à sa progéniture.
« Je suis rentré mes puces ! »
La petite fille leva les yeux au ciel. Il n'avait pas vraiment l'utilité de dire des mots doux alors qu'il allait bientôt commencer sa « séance » avec elle. La mère déglutit, s'empressant de prendre le corps inanimé dans ses bras et de le poser dans le petit berceau destiné à celui-ci. Elle retourna le tapis. Le sang n'avait pas traversé de l'autre côté, ce qui la rassura. Elle cacha les débris de verre sous le canapé et regarda avec passion son amour arriver. Ils s'embrassèrent sous le regard horrifié de la jeune fille qui préféra s'éclipser dans sa chambre avant d'être de nouveau recouverte de bleus. Elle rentra dans sa chambre et se coucha sur son lit, versant toutes les larmes de son corps sur les draps rosés par des plaies qui se ré-ouvraient durant la nuit. Sa mère venait de tuer son petit frère. La personne qu'elle aimait plus que tout au monde. Elle se releva et prit un bout de papier. Ainsi, elle se mit à écrire, encore et encore, afin de libérer toutes les souffrances qu'elle endurait. S'échappant dans son monde rien qu'à elle, dans ce monde parfait où elle était une princesse, gâtée et chérie par ses parents qui l'aimaient plus que tout au monde. La porte grinça et une ombre entra dans la chambre, un sourire pervers aux lèvres.
« Alors Aëliane, on ne dit pas bonjour à son papa ? »
* * *
15 ans. Un âge normal pour tout adolescent ayant une vie banale. Les cours, les amis, la crise d'adolescence. La routine quotidienne. Pourtant, pour Aëliane, c'est une période importante. Un âge de liberté et de délivrance si longtemps recherché.
Elle sortait du Collège comme tous les jours. Elle était fatiguée, n'était plus très concentrée en cours et semblait avoir toujours quelque chose de cassé. Ses parents ne l'amenaient jamais à l'hôpital, alors elle faisait ses propres bandages ou essayait de cacher au mieux possible sa douleur. Mais après tant d'années à souffrir, l'adolescente commençait à ne plus réussir à guérir aussi facilement que quand elle était enfant. Alors qu'elle allait tourner au virage pour rentrer dans sa
prison, un de ses professeurs l'interpella. Elle se retourna avec peine pour croiser le regard chocolaté de sa professeur de Français. Cette dernière lui montra une rédaction qu'elle avait écrite dernièrement.
« Aëliane. Comment peux-tu avoir un dix-neuf en rédaction alors que tes autres notes sont toutes en dessous de neuf ? Ta rédaction est si triste et si.. réelle. Tu veux me parler de ce qu'il t'arrive ? »
La brunette aux yeux bleus recula, surprise par les paroles de sa professeur. Elle avait toujours admirer cette femme qui, malgré son grand âge, arrivait à la faire sourire, le temps d'une petite heure, ses lèvres si habituellement figées. Aëliane ne se fit pas prier pour s’effondrer dans les bras de la vieille femme. Après s'être calmée, elle se délivra des bras de son interlocutrice pour la fixer avec détresse. La femme avait du mal à comprendre mais se sentit bouleversée par la réaction de son élève. Avant qu'elle n'ait pu lui demander quoique ce soit, un homme arriva furieux derrière Aëliane, ce qui terrorisa la demoiselle. La vieille femme fusilla du regard l'homme, qui s'arrête de suite, voyant la mine dépitée de son enfant.
« Aëliane ! Vas-tu arrêter d'importuner tes professeurs avec des mensonges ? Tu es juste un peu malade, ne vas pas dire que tes parents te font du mal.
- Elle ne m'a jamais dit ça, répliqua la professeur avec assurance, nous en avons juste assez de voir une brillante élève plonger depuis des mois.
- Et bien cela n'arrivera plus, elle va remonter ses notes, croyez-moi ! Viens, Aëliane. »
L'adolescente hésita pour la première fois de sa vie à suivre son géniteur. En face d'elle se trouvait une très grande alliée qui avait été championne de Judo pendant plus deux cinq années consécutives. Elle regarda avec arrogance son paternel et se tourna vers la femme en la suppliant de ne pas la laisser partir avec
lui. La femme comprit de suite toute la situation en voyant le visage en colère du père d'Aëliane. Elle fit tout de suite le lien avec les nombreux bleus qui parcourraient ses bras, ses jambes et son visage. Elle bouillonnait de rage, se réprimandant de ne pas avoir compris un peu plus tôt la situation de son élève. Lorsque l'homme s'avança, les manches retroussées, vers les deux femmes, la professeur ne se fit pas prier pour prendre l'adolescente par le bras et de lui souffler de la suivre en courant, ce qu'elle fit avec un élan d'adrénaline. Courir pour fuir, courir pour échapper à une douleur. Elle aurait dû le faire il y a tant d'années. Les deux femmes arrivèrent dans un coin perdu, ayant semé le paternel d'Aëliane. La vieille femme prit une carte dans son sac et la tendit à son élève.
« C'est fini, Aëliane. Il ne te touchera plus jamais, je te le promets. Prends cette carte et va t'inscrire à Artistic Academy. Une chance que tu sois incroyablement douée pour l'écriture, ils t'accepteront sans hésitation. Je m'occupe de tes parents, il y a un bus dans dix minutes à cet endroit qui part pour l'académie. Vas-y, vis ta vie, et ne reviens jamais ici. J'ai été très fière de t'avoir rencontrée, je saurais quoi dire aux autres personnes de ton entourage. File, je t'enverrais chaque mois de l'argent pour payer ton enseignement.
- Me.. Merci.. »
L'adolescente s'effondra, offrant un câlin à sa sauveuse. Elle prit la carte et regarda partir celle qui l'avait délivrée de toute douleur. Plus jamais elle ne la reverrait, mais jamais elle ne pourrait oublier son visage si assuré face à la personne qu'elle-même n'aurait jamais pu regarder comme ça. Elle soupira et murmura une pensée pour son petit frère. Il était
enfin vengé. Il
pouvait enfin reposer en paix, et elle pouvait
enfin vivre.