Ma tendre Lilibeth. Gâtée, tu l’es. Et tu le sais, n’est-ce pas ? Tu sais que tu es privilégiée, que tu as eu de la chance. Que tu es très bien née. Tu ne t’en caches pas. Tu le montre, tu montres ce que les fées t’ont donné. Tu parais très hautaine, peu sympathique au gens que tu croises. Petite fille qui a grandi dans la luxure d’une vie parfaitement heureuse. N’est-ce pas un moyen pour toi, d’exister, de ne pas être invisible aux yeux des gens qui t’entourent ? N’est-ce pas ta plus grande crainte, d’être seule, oubliée ?
Te dévoiler, exhiber ce que tu as, ce que tu possèdes. C’est une obsession. Une hantise. Tu es si obnubilé par cette quête de reconnaissance, que tu en oublis tes principaux trait de caractère. Tu es une petite fille dans l’âme. Une enfant qui a peur de grandir, un peu perdue dans ce monde.
Et puis quoi ? Tu veux aussi la vivre pleinement cette vie si courte. Tu n’as pas peur de t’imposer, de défendre tes intérêts et tes idées. Têtue est un mot qui te définit bien. Et même si certain te méprise, tu caches le malaise que cela crée en toi, et tu te concentres sur ceux qui t’aiment.
Toujours dans la lune, tu as souvent du mal à suivre ce qui se passe autour de toi. Tu te réfugie dans un monde dont seule toi connais l’existence. Un havre de paix ou tu te sens bien.
Un endroit où tu retrouves la chaleur des parents que tu n’as jamais eu. La douceur d’un rêve, la chaleur de tes utopies irréalisable.
Oui, grand rêveuse, tu tombes souvent de très haut, quand tu te rends compte que tout ce que tu as imaginé est faux. Et puis tu te sens mal. Tu es énervé car tu t’es menti, en même temps désespérée car tu aurais voulu que tout cela arrive. Et puis tu pleures, tu frappes tout ce qui se trouve sur ton passage, tu blesses des gens. Sans le vouloir… mais tu les blesses.
Trop émotive, voilà ce que tu es, ma tendre Lisabeth.

Blanc. Un blanc aveuglant. Froid. Plus froid encore que la neige qui tombe dehors. De la neige. C’est la première fois que tu en vois. Et tu ne peux pas sortir. Tu ne peux pas aller plonger tes doigts dans la poudreuse. Tu ne peux que regarder ses enfants s’envoyer des boules qui éclatent sur leurs vêtements polaires. Et toi. Allongée là. Seule.
Lentement, tu fermes les yeux pour échapper à cette vision blafarde. Tu écoutes. Des battements, cadencés, infiniment rassurant. Tu rouvres les yeux. Quelque secondes de plus. Tu es toujours en vie. Ton cœur bat. Au même rythme que la trotteuse de l’horloge. Un duo étrange et pesant dans le silence de cette chambre d’hôpital. Un silence à peine troublé par les voix enjouées provenant du couloir. Boum-Boum, fait le petit cœur malade. Tic-Tac font les aiguilles insolentes.

La porte s’ouvre. Tu sursautes, à moitié endormie. Un homme entre, poussant une civière. L’infirmier sourit. C’est l’heure.
Il te soulève délicatement. Comme une poupée infiniment fragile. Puis il te pose et t’emmitoufle dans des couvertures, chaude et douce. Le chariot roule. Roule vers cette salle d’opération. Celle qui changera peut-être ta vie. Après laquelle tu cesseras peut-être de compter les secondes, les battements de ton cœur. Ecoute. Le souffle lent. Ton souffle lent et saccadé. Il fait froid ici.
Froid comme si… comme si aucune vie n’habitait cette pièce. Ta vue s’est un peu brouillée. Boum-Boum. Un homme se presse prêt de toi.
« - Je t’endors Lisabeth »
Il pique ton avant-bras. Et c’est le noir. Le noir total. Tu plonges dans un sommeil sans rêve.

« - Un, deux, trois, lève ta jambe plus haut Lisabeth, un, deux… »
Arabesque, tu t’inclines gracieusement et viens ramasser un bouquet invisible au sol. Un coup d’œil au miroir. Tes pointes sont loin d’être parfaites. Irritée, tu tends ton pied autant que possible. Tu te redresses, lentement, les yeux fixé droit devant toi. Un bras se lève, doucement, la paume vers le ciel. La tête droite, l’air fier. Et chassé de ton esprit les souvenirs désagréable.
Légèrement, tu te laisses glisser sur le parquet. Grand écart de profil. Tu t’étends sur tes jambes. Dos droit, le nez contre le genou. C’est là la vie que tu voulais vivre. Tu y es parvenue. Tu as vaincu la maladie. Et les battement de ton cœur, plus jamais tu n’écoutes.

Délicate. Fragile. Tu es si petite que tu ne dépasserais pas trois pommes. Si maigre qu’on ne croirait que tu as un appétit d’ogre. Ton visage est si fin, si doux, qu’on ne pourrait se figurer un tel caractère. Tes traits sont d’une finesse incomparable. Tes pommettes roses, tes lèvres corail.
Gracieuse et élancé, en bonne danseuse. Des yeux bleus pâle. Comme un ciel d’hiver, claire et lipide. Ainsi emmitouflé dans un gros pull de laine, sous lequel tu ne portes que tes vêtements de danseuse, tu sembles perdue, fragile. Un juste-au-corps, de fins collants agrémentés d’une paire de guêtres roses. Tes cheveux blonds vénitiens tirés vers l’arrière en un chignon serré accentuent la finesse de ton visage. Ton nez est légèrement retroussé et bien proportionné. Mais tu es vraiment petite, et très menue. La plupart des personnes te regardent de haut, comme une petite poupée de porcelaine, qui se casserait au moindre mouvement brusque…

Autrefois, tu pratiquais le patinage artistique. Puis plus tard t’es venue un gout pour la natation synchronisé. Maintenant ta passion est la danse sous toutes ses formes. La lecture est de loin un de tes passe-temps favoris, et tu pratique aussi le violon et quelque peu le piano.